Cinématon 1651-1680 (1994) de Gérard Courant

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Bernard-Pierre Donnadieu Cinématon n°1654

 

1994 marque la fin d'une longue et belle histoire entre Gérard Courant et le festival de Cannes. C'est triste à dire mais les temps ont changé : alors que plusieurs de ses films pouvaient être présentés dans des sections parallèles au début des années 80, le festival est devenu plus frileux, plus conformiste et moins avide de faire découvrir des cinémas différents. A ce jour, le cinéaste n'y est donc plus retourné.

Pour sa dernière moisson, il a rapporté dans sa musette des portraits plutôt minimalistes mais agréables à regarder (le soleil et la végétation méditerranéenne font toujours un certain effet). Commençons par le plus célèbre des modèles, à savoir Bernard-Pierre Donnadieu (n°1654) qui présente un visage sévère et impassible. Son immobilité presque parfaite (il finira quand même par tourner légèrement la tête) couplée à une présence indéniable finissent par donner une véritable intensité à ce portrait qui relève d'avantage de la sculpture (Donnadieu est un marbre) que du cinéma.

La comédienne Sandra Chérès (n°1669) arbore un beau sourire, profite du soleil cannois et sirote tranquillement son Coca-Cola en tournant parfois le dos à la caméra de Courant. Quant à la chanteuse Natacha Fialkovsky (n°1664), elle mange des cerises et recrache les noyaux en toute décontraction, ce qui tranche un peu avec son allure distinguée. Et si l'on se souvient du Cinématon de Flamin Arbib (n°1653), c'est sans doute à cause de la petite ressemblance du comédien avec Marlon Brando.

 

Mais ce que l'on retiendra surtout de cette moisson cannoise, c'est cette série de portraits de quatre grands chefs opérateurs que va réussir Courant. On débute en fanfare avec le plus grand, à savoir Renato Berta (n°1660), directeur de la photographie de Godard, Rivette, Rohmer, Resnais et les Straub (entre autres), qui semble discuter avec le cinéaste des deux choses primordiales du Cinématon : le cadre (qu'il définit avec ses mains) et le temps (il regarde sa montre). Suivront Gérard de Battista (n°1661) (le chef-opérateur attitré de Gérard Jugnot mais qui a aussi travaillé pour Doillon, Blier ou Chris Marker) qui lit, imperturbable, son magazine ; puis Robert Alazraki (n°1662) qui a collaboré avec un certain nombre de tocards (Arcady, Chouraqui...) mais qui a aussi signé la photo de Trop tôt, trop tard des Straub et du Père Noël est une ordure de Poiré. Alazraki ne fait strictement rien et c'est son petit air de Bernard-Henri Levy (personne n'est parfait!) qui retient l'attention. Enfin, on termine avec le chef-opérateur attitré de Tavernier Bruno de Keyser (n°1663) qui se contente, pour sa part, de fumer le cigare.

 

Gérard Courant a également profité de son séjour pour se rendre à Eze et tourner quelques portraits là-bas. Le plus notable est sans doute celui de Christel Drawer (n°1666), organisatrice de festival. Ce qui séduit, ce n'est pas tant le modèle que la surexposition liée au soleil qui la fait presque disparaître de l'image et produit un joli effet (d'autant plus qu'elle porte du jaune et qu'elle est blonde!).

 

De retour à Paris, le cinéaste tente un nouveau portrait de bébé (Louise Daviot, n°1671) sans parvenir à obtenir un résultat aussi extraordinaire qu'avec Galaxie Barbouth.

La fin de l'étape s'avéra donc un poil plus routinière même si l'on croise le chemin du directeur des programmes de Canal + Alain de Greffe (n°1679). Clope au bec, l'air antipathique, notre bonhomme fait mine de regarder des papiers tandis que défilent sur un grand écran derrière lui des images d'un match de foot.

Bizarrement, ce Cinématon m'est apparu comme une superbe prémonition de ce qu'allait devenir Canal + Alors qu'en 1994, la chaîne était à son zénith (le fameux « esprit Canal »), impertinente et novatrice, elle allait bientôt rentrer dans le rang et devenir aussi conformiste que les autres. Ne resterait alors plus que ce qu'on voit derrière De Greffe : du foot, du foot et encore du foot !

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