Cinématon 226-240 (1982) de Gérard Courant 

 Pialat

Maurice Pialat Cinématon n°236


C’est toujours l’esprit un peu ailleurs que j’ai poursuivi cette neuvième journée de marathon. Malgré le peu de distance parcourue, il faut bien reconnaître que cette étape fut assez dense et passionnante. Elle commença d’abord par la rencontre avec un immense cinéaste, Raoul Ruiz (n°228), dont le portrait s’avère finalement un peu banal eut égard à la personnalité de ce réalisateur.

Ensuite, on découvre pour la première fois quelqu’un qui joue avec des cartons et des mots. L’artiste vidéo Michel Jaffrennou (n°232) contourne d’une certaine manière les aléas du muet pour présenter aux spectateurs une série de phrases inscrites sur des feuilles de papier (il propose par ce biais une récompense à celui qui devinera sa pensée ; le chèque de 50000 francs- eh oui, nous n’étions pas encore en euros- étant bien entendu à réclamer auprès de Gérard Courant !). Le résultat est très amusant.

Deux portraits plus loin (n°234), nous avons le plaisir de rencontrer Georges Le Gloupier, cet individu bicéphale qui fut à la fois un personnage fictif écrivant des romans, des articles et réalisant des films et un provocateur professionnel à qui Noël Godin offrit une existence en chair et en os lorsque débuta sa croisade pâtissière. Dans Cinématon, c’est le véritable créateur de Georges Le Gloupier, à savoir Jean-Pierre Bouyxou, qui apparaît à l’écran. Il commence par lire avec délectation l’ouvrage qu’il vient de publier (L’odieux tout-puissant, petit chef-d’œuvre irrévérencieux publié aux éditions La Brigandine, sur lesquelles j’ai écrit un long article dans la revue Chéri-Bibi n°6 – pardon pour la page d’autopromotion-) avant, bien entendu, de sortir une belle tarte de son emballage et la lancer sur l’objectif de la caméra de Courant.

Dans la mesure où Cinématon créé du mythe, il était logique que l’inoubliable auteur de L’ode à l’attentat pâtissier soit immortalisé par cette grande œuvre !   Bonnaire1

Sandrine Bonnaire Cinématon n°238

 

Mais le passage le plus fameux de cette étape fut, bien évidemment, cette journée du 17 juillet 1982 où Courant va tourner trois de ses plus fameux portraits. Introduit sur les lieux par son complice Vincent Nordon, (qui nous racontera ça mieux que moi, du moins je l’espère) cinéaste et alors assistant réalisateur, Gérard Courant va se voir offrir l’opportunité de filmer l’équipe d’A nos amours.

C’est Pialat (n°236) qui ouvre le bal : son regard noir fixe la caméra avec une intensité assez incroyable. Ce que j’aime dans ce portrait, c’est qu’il montre une fois le plus le pouvoir de « révélation » du Cinématon. Habituellement, les sujets filmés se composent un masque élégant et cherche à se mettre en valeur avant que le temps du tournage ne les pousse à perdre un peu de leur contenance et à livrer une certaine « vérité ». Avec Pialat, c’est exactement ce qui se passe sauf qu’il cherche d’abord à se présenter tel qu’on l’imagine : sous un mauvais jour, bougon, râleur et à la limite de piquer une colère. Courant raconte d’ailleurs que le cinéaste n’était pas content d’être filmé et qu’il lui fit savoir (« Qu’est-ce que c’est que cette connerie de Cinématon ? »). Et pourtant, durant les trois minutes, le réalisateur laisse entrevoir de temps en temps un merveilleux sourire qui tend à prouver qu’il n’était pas seulement l’ours mal léché dont on a immortalisé les colères...

Vient ensuite une actrice de second rôle dans A nos amours (Maïté Maillé, n°237), que les trois autres portraits ont un peu relégué dans l’anonymat (la comédienne ne manque pourtant ni de charme, ni de piquant) ; et bien évidemment Sandrine Bonnaire (n°238) qui irrigue de sa fraîcheur et de son charme ce portrait magique dont j’ai déjà parlé (on ne se lasse pas de sa fossette).

Quant à Vincent Nordon (n°239), il invite sa petite amie du moment à montrer sa poitrine à la caméra et à immortaliser en quelque sorte les instants magiques de la naissance d’un amour. Le portrait n’est pas seulement beau parce qu’il est le premier véritable Cinématon « érotique » mais parce que le visage de Nordon rayonne à la fois de bonheur et d’une sincère émotion que la caméra de Courant capte fort bien.

De quoi finir en beauté une journée peu ordinaire dans la longue histoire de ce film…  

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Vincent Nordon Cinématon n°239

 

AJOUT DU 9 MARS : Vincent Nordon m'envoie un message très gentil qui me permet de rectifier une petite erreur. Lorsque Gérard Courant débarque chez Gaumont à Neuilly ce jour de juillet 1982, Pialat ne prépare pas A nos amours mais son projet inabouti sur les Deux meurtrières (on se souvient que c'est Cyril Collard qui sera finalement l'assisant sur A nos amours). Mea culpa.

 

TEMOIGNAGE DE VINCENT NORDON :

C'est, je dois bien l'avouer, ce que j'espérais un peu en débutant ce "cinémarathon" : quelques souvenirs des "acteurs" de ce film. Vincent Nordon comble mes espérances au centuple en m'autorisant à publier son passionnant témoignage. Qu'il en soit chaleureusement remercié.

 

"Je me souviens surtout de l'humeur de chien de Pialat, et que je buvais déjà pas mal (mais ça ne se voit pas encore sur mon visage) et la jeune fiancée de l'époque (Catherine Bonnin) - je ne savais pas encore que j'allais me mettre "en ménage" avec elle, et que ça allait finir au tribunal car j'ai, trois ans plus tard, cassé le nez à son nouveau fiancé.

Je me souviens surtout de cette première rencontre avec Sandrine Bonnaire. Je crois - sans l'avoir vu moi-même - que dans le coffret DVD Pialat ils ont gardé ce que j'ai tourné avec elle ce jour-là.
Pialat ensuite m'a fait jouer le rôle du fiancé de Bonnaire - je crois que c'est aussi dans les bonus.
Je me souviens surtout qu'en tant qu'assistant je raccompagnais souvent Sandrine à Grigny, car elle était incapable de se repérer, étant à l'époque totalement analphabète et illettrée (cela revient dans le personnage qu'elle joue dans La Cérémonie de Chabrol); je me souviens surtout que Catherine et moi  l'invitions souvent chez nous : elle ressemblait à une "gosse mal-nourrie" comme dit la chanson "La complainte de la Butte", avec, sous l'étoffe d'un méchant T shirt (la saison, il m'en souvient, était chaude et même torride, cela se voit dans le Cinématon de Courant : je transpire beaucoup dans ce bureau sans climatisation), avec, donc, des seins de femme mûre sur un corps mal poussé. Le temps que Pialat la requinque, passant du scénario des Deux Meurtrières (car je vous rappelle que lorsque Courant débarque à Neuilly chez Gaumont, nous formons l'équipe des Deux Meurtrières) au scénario d'A nos amours, et la jeune fille éclosait, harmonieuse.
Je me souviens aussi et surtout qu'avant d'être façonnée par Pialat, Sandrine Bonnaire pensait que c'était sa soeur Lydie qui avait un avenir dans le cinéma : les deux soeurs étaient inséparables (et aussi pour la raison que je vous ai dites, que Sandrine ne pouvait pas lire les noms sur les plaques des rues et du métro).
Sandrine et Lydie, dans leur HLM de Grigny, s'inventaient des génériques où le nom magique de Sophie Marceau, leur grande idole de l'époque, était comme par enchantement remplacé par celui de Lydie Bonnaire.
Je crois que Courant a filmé aussi Lydie Bonnaire, mais je n'en suis plus sûr.
Moi, j'ai bien filmé les deux pour les essais de casting.
Vous connaissez la suite : Pialat, tous les soirs, daignait passer dans mon bureau en me lançant, cynique et désespéré : "Alors? Qu'est-ce que t'as encore foutu aujourd'hui?"
-Regarde, Maurice.
Je lance la projection des essais du jour; je m'arrête sur des minettes adorables, Pialat fait "pouah, des connes parisiennes".
Quand Sandrine arrive à l'écran, je lui dit qu'elle est venue avec sa soeur Lydie et qu'à tout hasard je l'ai filmée aussi. Je dis à Pialat qu'elle a un gros pif.
Là Pialat se met à hurler, à me traiter de pauvre con et j'en passe.
Il me dit : repasse-moi ça!
Il me dit : t'as noté son adresse?
Il me dit : bon, tu vas la voir demain.
 
Le reste n'est plus mon histoire.
 
Comme dit la chanson : "Il faut croire à l'histoire ancienne".
 
Le reste, c'est l'histoire d'un Cinématon qui a miraculeusement bien fonctionné. Je me souviens de la première projection publique de mon Cinématon, au Studio 43, chez Païni. Quand mon visage est arrivé, le public (absolument déchaîné, entre Morlocks et intermittents bourrés) a commencé de me traiter de "rastaquouère!" jusqu'à l'apparition des seins de Catherine : alors là, respect! J'ai eu droit à une ovation!
 
Je n'ai jamais revu Pialat - sauf au funerarium des Batignolles, lorsque, petite poupée morte et maquillée, son cadavre reposait.
Je sais par des proches qu'il demandait parfois de mes nouvelles.
Je n'ai jamais revu Sandrine Bonnaire. Je sais qu'elle a dit parfois que j'étais un assistant pas méchant. La dernière fois que j'ai entendu parler d'elle à mon sujet, c'était dans le "Journal du Dimanche" où Daniel Besnehard rétablissait la vérité; à un journaliste qui prétendait que c'était Pialat qui avait le premier filmé Sandrine Bonnaire, très gentleman, Besnehard a rétorqué : "Non, le premier qui a filmé Sandrine Bonnaire, c'est Vincent Nordon".
L'histoire est d'autant plus belle que je n'ai JAMAIS rencontré Dominique Besnehard.
 
Il faut, je vous le redis, croire à l'histoire ancienne.
 
Ces trois Cinématons, celui de Pialat, celui de Sandrine Bonnaire et le mien appartiennent donc, qu'on le veuille ou non, à une histoire qui m'échappe. Qu'on  l'appelle l'histoire du cinéma, ou l'histoire du cinéma de Courant, ou l'histoire en général, c'était un drôle de moment de ma vie : car ce que Courant fixe à ce moment - je vous demande pardon de reparler de moi, cela devient obscène! mais c'est la loi du sport - c'est une forme de suicide social. Car, j'en témoigne, jamais au Grand Jamais je ne voulus faire partie de la prétendue "grande famille" du cinéma (sic et re-sic et glurps!). La Grande Famille du Cinéma part en vadrouille dans les limbes de l'inaccompli; moi,  obsessionnel et suicidaire, je suis resté fidèle à mes amours, autant qu'il m'en souvienne : le cinéma part de l'intime, y revient, sans cesse, dans ce mouvement de bascule qui ressemble à un mouvement de bassin : la mer monte et se retire, lente émotion qui dure quand se retire la bite du fourreau. Et qu'un baiser soudain remplace, comme une Ode au dieu redoutable, dit un Psaume. Ainsi, donc, parlerais-je pour conclure des Cinématons de Gérard Courant : ce sont des Psaumes pour les temps modernes."
 
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