Cinéma(ra)t(h)on : J-93
Cinématon 2071-2100 (2003-2005) de Gérard Courant
Guy Jungblut Cinématon n°2094
Comme avec le vin, il est possible de dire que certains passages de Cinématon ne sont pas des grands crus. Cette série tournée au festival de Montpellier ne fait définitivement pas partie des bons moments du film et les onze derniers portraits que nous avons découverts (impassibilité de rigueur sur le même fond jaune) nous ont paru assez soporifiques.
Du coup, on respire lorsqu'on croise, à Paris, le chemin du regretté Marcel Mazé (n°2082), figure incontournable du cinéma expérimental en France (il a créé le Collectif jeune cinéma). Il se contentera ici de poser devant un écran où défile un film expérimental que je n'ai pas pu identifier (un des siens ? Le style évoque un peu les films d'Anger ou de Jack Smith).
Pour débuter l'année 2004 qui comptera peu de Cinématons (13 seulement), nous avons rencontré deux individus semblant s'être donné le mot. En effet, Shalva Khakhanashvili (n°2084) et Vivian Lofiego (n°2085) entreprennent une lecture à haute voix. Ce qui nous fait, il faut bien en convenir, une belle jambe puisque les films sont toujours muets !
En 2004, Courant filmera l'écrivain Henri Troyat (n°2087) dont les ouvrages constituent les 2/5èmes des stocks d'Emmaüs et des personnalités du FID de Marseille : Jean-Pierre Rehm (n°2090), stoïque devant le vieux port et le journaliste et critique aux Cahiers du cinéma Sylvain Coumoul (n°2092).
Le meilleur portrait de la série est assurément celui de l'éditeur Guy Jungblut (n°2094) (on lui doit les excellentes éditions Yellow Now). Il commence son Cinématon en pointant une caméra vidéo sur son visage. Puis au bout d'une minute et des poussières, il tourne sa caméra, place l'écran de contrôle de celle-ci au niveau de son œil et on réalise qu'il a filmé...son œil. Il parvient ainsi à créer un drôle d'effet, comme si l'un de ses yeux était devenu fou et indépendant.
Ce qu'il y a d'intéressant, c'est de replacer des Cinématons tournés à un moment précis dans un contexte plus global : celui de l’œuvre de Gérard Courant. Ainsi, lorsqu'on découvre le portrait de la photographe Barbara Peon Solis (n°2086), on songe au carnet filmé Un été amoureux qui en est, en quelque sorte, le prolongement.
De la même manière, lorsqu'on regarde le film tourné à Mexico (celui de Jordan Estevan, n°2095), on repense aux images de Délices lointains (carnet en Super 8 consacré au voyage mexicain du cinéaste).
Après un petit détour par Liège où Courant filmera un Pol Pierart (n°2096) jouant avec un petit squelette en plastique, on terminera la série de façon plus « gay ». Tom de Pékin (n°2098) pose devant un drapeau français où se trouve inscrit un gros « PD ». Il enfile un masque style SM et se frappe avec des espèces de matraques souples et noires. Madame H. (alias Christophe Marcq n°2099) lui emboîte le pas et effectue un numéro à la Michel Serrault dans La cage aux folles : travesti en femme, il enlève sa perruque, ses lunettes et son maquillage avant de tout remettre.
Plus sobre, le comédien vu chez Rémi Lange Antoine Parlebas (n°2100) ne fait rien si ce n'est, à un moment donné, se mettre convulsivement un morceau de sparadrap sur la bouche.
Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il a cherché à donner une image d'une minorité bâillonnée par la société...