Mes séances de lutte (2013) de Jacques Doillon avec Sara Forestier, James Thiérrée

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J'ai l'impression de toujours débuter mes notes sur Doillon de le même manière en m'interrogeant sur l'étonnante destinée de ce cinéaste. Alors qu'il représentait dans les années 80 et, surtout, dans les années 90 une sorte de parangon du cinéma d'auteur français exigeant et inspiré (Le petit criminel, Le jeune Werther...), il est aujourd'hui incroyablement négligé. La presse qui le soutenait autrefois (Cf. Les cahiers du cinéma consacrant une double page et des entretiens à son téléfilm Un homme à la mer- qui s'en souvient?-) ne l'évoque désormais plus que du bout des lèvres, les financiers ne lui accordent plus aucune chance et Doillon a désormais de grosses difficultés à monter ses films.

Pourtant, le cinéaste n'a pas dévié d'un poil dans sa trajectoire. C'est d'ailleurs ce que l'on peut parfois lui reprocher lorsque son système se fait routinier et répétitif (je n'avais pas été convaincu par Le mariage à trois). La femme qu'incarne Sara Forestier accuse d'ailleurs Jacques Thiérrée de se répéter. Ce à quoi l'homme rétorque « pas tant que ça ». Et c'est cette nuance qui fait tout l'intérêt de Mes séances de lutte.

 

Le film nous place d'emblée en terrain connu. Chez Doillon, le moteur de la fiction vient d'une béance, d'un événement qui a eu lieu avant, comme si le film débutait et qu'il manquait une première bobine. C'est la volonté du Petit criminel de retrouver sa sœur, le suicide d'un adolescent dans Le jeune Werther, la mort d'une mère dans Ponette, une nuit passée avec Le premier venu... Dans Mes séances de lutte, Sara Forestier vient d'enterrer son père et retrouve un homme chez qui elle a passé une nuit sans que rien n'advienne entre eux. Du moins, s'ils n'ont pas couché ensemble, une étincelle a jailli et Doillon ne va désormais plus filmer que le désir et ses chemins sinueux.

Le film s'installe confortablement dans ce que nous pourrions qualifier de « système Doillon » : dialogues surabondants et très « littéraires », psychologisme exacerbé et tortueux, petit théâtre où rode l'hystérie entre deux personnages qui ne seront jamais nommés (Elle et Lui). Le cinéaste semble filmer la colère d'une jeune fille contre son père mais cette colère, elle la reporte sur cet homme qu'elle semble désirer mais qu'elle repousse. De l'autre côté, l'homme la pousse dans ses sentiments belliqueux comme si elle devait évacuer cette colère pour pouvoir apprendre à aimer.

Ces sentiments exacerbés, ces longs dialogues très écrits, cette volonté d'épuiser toutes les implications psychologiques de chaque mot commencent par fatiguer un peu. On touche là aux limites de ce fameux « système Doillon » et un certain artifice menace de pointer le bout de son nez.

 

Puis arrive le véritable enjeu du film, celui qui consiste à transformer les joutes verbales (assez abstraites) des personnages en véritables luttes. Le verbe se fait chair et le combat amoureux devient un combat tout court, brutal et dangereux. Quand le cinéma de Doillon a choisi autrefois d'être très physique (La pirate), c'était au risque de l'hystérie. Dans Mes séances de lutte, le cinéaste organise une véritable chorégraphie et cet aspect très corporel du récit met en danger son système de manière tout à fait passionnante. La mise en scène épouse de manière très forte ce crescendo qui se termine par des scènes de sexe d'une rare intensité. Plus la passion devient vertigineuse entre les deux personnages, plus les bagarres deviennent brutales et moins les mots ont de l'importance. Ce que la première partie laissait augurer (notamment par la manière qu'avait Doillon de faire se déplacer les personnages dans le cadre) advient dans ces séquences finales : le petit théâtre amoureux (bavard) prend véritablement corps et va toucher les zones les plus brûlantes et abyssales de la passion amoureuse (lors d'un moment précis que je ne décrirai pas, il y a une explosion soudaine de violence qui me fait encore froid dans le dos!)

 

A vrai dire, je me demande d'ailleurs si ce n'est pas cette dimension littérale et crue qui explique la désaffection pour le cinéma de Doillon : le cinéaste est resté fidèle à lui-même tandis que l'époque a changé. Alors que les temps ne cessent d'exalter l'amour du Même, Doillon reste un parfait exemple d'un cinéma de l'altérité. Pour lui, le sexe et la passion sont le lieu de la non-réconciliation, d'une certaine violence passionnelle, d'une radicale séparation entre les sexes qui se traduit par le louvoiement du désir, la manipulation, la soumission, etc. Dans Mes séances de lutte, cette séparation se traduit par de fréquents renversements d'axe qui nous font passer d'un point de vue à un autre et qui renforce l'aspect bagarreur de la relation entre les deux personnages.

Du coup, le résultat est âpre et peu aimable car le cinéma laisse entrevoir les gouffres que dissimule chaque passion. Les effets « physiques » et violents de cette passion sont superbement incarnés par une Sara Forestier sublime et par un James Thiérrée inspiré. Parce que Mes séances de lutte est également ça : une réflexion sur le jeu et la comédie. Rarement le terme « incarnation » aura mieux convenu à un film qui transforme un petit théâtre sentimental retors en grande histoire d'amour physique sans issue...

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