10 ans de Labo (2011) (Editions Potemkine)

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Il n’est pas souvent question de courts-métrages sur ce blog. Mises à part quelques grandes manifestations dédiées au genre, il n’est pas aussi facile que ça d’en voir et je crains que les films dont je vais vous parler ce soir soient presque aussi peu connus que les films de Gérard Courant que je cherche à vous faire découvrir.

Le Labo dont il est question ici est une section du festival de Clermont-Ferrand qui vient de fêter ses 10 ans. A cette occasion sort un DVD où se trouvent réunis quelques titres marquants et/ou primés dans le cadre de cette section.

Comme souvent avec le court-métrage, la sélection se révèle assez inégale mais a le mérite de pointer à la fois les limites de ce format comme sa grandeur.

Passons d’abord très vite sur Lila (Broadcoast Club. 2008) dont je n’arrive pas à comprendre la présence dans cette sélection. Sur une musique « lounge » défilent des images léchées de campeurs de tout âge, de toute nationalité en train de prendre du bon temps. Sourire aux lèvres, ils s’affairent dans le camping, s’agitent en tas dans une piscine, se trémoussent sur une piste de danse ou font du VTT et du skate. Des images de jeunes ados demeurés et totalement ivres succèdent à celles d’un couple qui s’embrasse ou de retraités qui jouent aux cartes : le bonheur formaté comme dans une pub pour de la chicorée ! On attend qu’arrive un slogan et, ô stupeur, il arrive bien et l’on comprend que le film n’est réellement qu’une interminable publicité pour un camping ! Et dire que ce machin a obtenu deux prix ! (dont celui de Télérama !).  

En dehors de ce spot publicitaire, l’ensemble compose un panorama assez représentatif de ce qu’est le court-métrage : un espace d’expérimentation, beaucoup d’exercices de style et quelques vraies pépites.

Deux films pourraient se rattacher à la tradition du film « expérimental » : Energie ! (de Thorsten Fleisch. 2007) et Délices (Gérard Cairaschi. 2002). Le premier joue sur une mise en boucle d’images sur lesquelles ont été projetées des décharges électriques avec comme résultat un film abstrait un peu ennuyeux, beaucoup moins fascinant que les expérimentations de Len Lye ou Norman MacLaren. Délices s’avère plus intéressant quoiqu’un poil longuet ; le réalisateur jouant également sur des effets stroboscopiques en faisant se succéder très rapidement des travellings sur un corps de fillette endormie (son visage, ses bras) et des images de végétations foisonnantes ou d’un poisson rouge. Le mélange offre une vision à la fois paradisiaque et un peu inquiétante qui peut séduire.

Côté « exercices de style », certains films laissent un peu perplexe, comme ce Duck children (Sam Walker. 2001) qui montre un ballet d’enfants déguisés en canards qu’un horrible chasseur va décimer l’un après l’autre. Assez habilement tourné, le film m’a néanmoins laissé de marbre tant je peine à comprendre ce qu’a voulu nous dire le réalisateur (est-ce qu’il s’agit de sous-entendre que chasser le canard équivaut à tuer des enfants ?). Passons assez rapidement sur un film d’animation qui m’a laissé totalement indifférent (The tale of how. The Blackheart gang. 2007) ou sur Sea change (Joe King et Rosie Pedlow. 2006), successions de travellings sur des bungalows au bord de la mer à différents moments de la journée.

En revanche, certains « exercices de style » séduisent plus, que ça soit par leur humour comme dans Raymond (Bif. 2005), fable rigolote où un homme est transformé en pantin désarticulé sous l’action de potions étranges qu’on lui verse sur la tête ; ou par l’incroyable prouesse technique dont ils sont le résultat comme I am (not) Van Gogh (David Russo. 2005) où le cinéaste mêle des vues de foules en accéléré et des sortes d’objets (une bouche dessinée sur un carton) qui passent de main en main à un rythme qui paraît presque ralenti. Tourné image par image, le film est très impressionnant techniquement mais paraît quand même, au bout du compte, un peu gratuit.

Wir sind dir treu (Michael Koch. 2006) est intéressant parce qu’il tient un point de vue unique pendant une dizaine de minutes. Le cinéaste a placé sa caméra dans une tribune de supporters de football (du club de Bâle) pour ne garder que les émotions les plus fortes du match sur le visage de ces individus. Il s’intéresse notamment à un « chauffeur » de foule qui se démène tant bien que mal pour faire chanter la tribune, pour la faire hurler. Le film donne une image aussi chaleureuse (on sent la passion chez cet homme) qu’effrayante de ce que peut être une foule complètement manipulée et avec qui il est si facile de jouer (lorsqu’il s’agit d’instincts irrationnels et de délire passionnel).

Mais la pépite de ce DVD est assurément The raftman’s razor (Keith Bearden. 2004), l’histoire de deux adolescents totalement épris d’un curieux héros de « comics ». L’homme dont ils aiment à suivre les aventures n’est effectivement pas un « super héros » mais un naufragé seul sur sa barque qui prononce de grandes sentences existentielles et qui n’a pour unique compagnon que son rasoir. Beckett au royaume du « comics book » ? Il y a un peu de ça, mais surtout une manière très fine de se plonger dans les tourments de l’adolescence en abordant de manière subtile un rapport au monde considéré comme trop vaste et absurde.

Sans la moindre démonstration, Bearden livre un film qui va droit au cœur et aborde avec beaucoup de délicatesse et d’originalité ce thème pourtant archi-rabattu de la fin de l’enfance et du passage à l’âge adulte.

C’est très beau.

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