Furie (1978) de Brian de Palma avec Kirk Douglas, John Cassavetes, Amy Irving (Editions Carlotta). Sortie le 23 octobre 2013

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C'est avec une certaine appréhension que j'ai redécouvert Furie. Je n'avais pas vu le film de De Palma depuis des lustres et je dois vous avouer que j'ai un rapport très particulier à ce film dans la mesure où c'est l'un des premiers (peut-être même le premier) que j'ai pu découvrir de celui qui allait devenir l'un de mes cinéastes préférés.

Or j'ai pu constater que certains films du maestro, aussi bons soient-ils (Body Double, par exemple), ont pris quelques rides. Du coup, je craignais un peu d’abîmer mes souvenirs d'adolescent fan de fantastique en revoyant ce thriller horrifique où Kirk Douglas court tout au long du récit à la recherche de son fils doté de pouvoirs télékinésiques et qu'une organisation secrète a enlevé. Pour l'aider, il tentera d'approcher Gillian (Amy Irving), une jeune femme possédant les mêmes pouvoirs psychiques que le jeune homme...

 

Revu aujourd'hui, Furie est un film qui s'inscrit parfaitement dans l’œuvre de De Palma et qui est pourtant un peu à part. Un coup d’œil rapide pourrait laisser croire que le cinéaste se contente de rentabiliser le succès de Carrie (son film précédent) et de poursuivre son exploration du genre surnaturel. Or si la dimension fantastique reste un élément primordial du récit (personne n'a pu oublier la scène finale!), le cinéaste semble s'en désintéresser un peu. A l'inverse de Carrie où il auscultait en profondeur les névroses d'une jeune femme, il s'intéresse peu aux causes « psychologiques » des pouvoirs de ces deux jeunes héros. Chez Robin, ce pouvoir est avant tout un objet de convoitise et le déclencheur d'une folie meurtrière. Dans son intéressante présentation (sans doute le meilleur supplément de ce double DVD qui en regorge), Samuel Blumenfeld évoque la dimension « autobiographique » du film dans la mesure où le frère de De Palma fut considéré comme un génie et, de fait, isolé comme tel. Du coup, ce jeune homme brillant finit lui aussi assez mal en fondant une sorte de secte et en abusant de substances illicites.

 

Si la dimension surnaturelle n'est pas forcément ce qui intéresse le plus le cinéaste, nous ne sommes pas non plus face à l'une de ses multiples variations autour de canevas hitchcockiens. Entre ses premiers essais (Obsession, Sœurs de sang) et ses chefs-d’œuvre maniéristes (Pulsions, Blow Out), de Palma livre ici un thriller où l'ombre du maître est quasiment absente. Et pourtant, Furie est aussi un film très formaliste qui sait inventer de grands moments de mise en scène. Songeons à la scène d'évasion de Gillian, tournée au ralenti et où le cinéaste joue déjà à dilater le temps et à dramatiser chaque action (l'arrivée impromptue du joggeur, de la voiture...). Mais il faudrait aussi citer la scène de la fête foraine et de ce manège devenu fou ou encore la séquence finale à la fois totalement folle et grand-guignolesque.

Dans ces moments là, De Palma déploie son sens de la mise en scène, sa manière de jouer avec l'espace mais également avec la durée, les points de vue. Ce qui semble l'intéresser dans la « télékinésie », c'est qu'elle permet de superposer des images, d'offrir des variations sur des scènes « déjà-vues » et de les réinterpréter. La première fois que Gillian touche la main du directeur de l'institut, les images de Robin qu'elle voit semblent être projetées sur un mur derrière elle tandis que la caméra tournoie autour d'elle. L'effet est saisissant : l'image n'est plus seulement la restitution d'une certaine réalité mais une véritable projection mentale d'un personnage mais également d'un metteur en scène tout-puissant.

Le pouvoir de Gillian et de Robin est un pouvoir de metteur en scène : « violer » l'intimité d'autres individus par le regard, les « mettre en scène » et même pourvoir agir sur les corps. On sait que chez De Palma, tout commence par le viol et le sang (les scènes de douche qui ouvrent Carrie ou Pulsions, par exemple). L'image, chez lui, n'est plus innocente. Dans Furie, cette possibilité d'agir sur les corps évoque presque le cinéma de Cronenberg : on songe à la fois à Dead Zone (le contact de la main qui fait surgir des images terrifiantes et ce pouvoir qui transforme les héros en mutants d'une nouvelle espèce) mais également à Scanners pour cette manière dont la télékinésie permet d'influencer sur les corps jusqu'à les faire exploser.

Ces éléments font tout l'intérêt d'un film dont chaque image semble naître dans le sang. Et cette étrangeté expressionniste compense largement un scénario assez mal fichu et décousu. En effet, l’œuvre débute comme un film d'action et d'espionnage avec vilains arabes d'opérette et cache-cache de Kirk Douglas avec l'organisation dirigée par l'excellent John Cassavetes pour se poursuivre en film fantastique tout en délaissant peu à peu certains personnages (la mère de Gillian, le directeur de l'institut...) et se concentrer sur la folie qui gagne Robin.

 

Les amateurs de récits verrouillés et de vraisemblance passeront sans doute leur chemin mais ceux qu'intéressent d'abord les questions de cinéma et de mise en scène trouveront du grain à moudre dans cette œuvre finalement atypique et d'une belle singularité dans la filmographie de De Palma...

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