White material (2009) de Claire Denis avec Isabelle Huppert, Christophe Lambert, Nicolas Duvauchelle, Isaac de Bankolé

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Je viens de finir de lire un curieux projet éditorial intitulé Béatrice Merkel. Il s’agit de cinq nouvelles écrites par cinq jeunes auteurs « dans le vent » (Bégaudeau, Bouquet…) autour d’un même personnage ; chaque nouvelle étant suivie d’une proposition d’adaptation cinématographique par un cinéaste (Mazuy, Lvovsky, Serra…). Si je vous parle de ces nouvelles, c’est que le projet d’adaptation de l’une d’entre elles a été confié à Claire Denis. Or je me disais en lisant les notes d’intention et les réflexions de la cinéaste que la mise en image était finalement superflue : tout était dit par écrit !

C’est un peu le sentiment qui m’a saisi en découvrant White material, le dernier opus de l’auteur de Chocolat, scénarisé par la fraîchement goncourisée Marie N’Diaye : nous voilà encore face à une certaine tendance du cinéma d’auteur français actuel qui sous le vernis d’une patte immédiatement reconnaissable (ce que j’ai appelé autrefois la « politique de la griffe ») est retombé dans les travers du cinéma illustratif des années 50.

Présente dans la salle, Claire Denis a d’ailleurs apporté de l’eau à mon moulin en contredisant les admirateurs de son cinéma qui estiment que le récit, chez elle, naît d’abord de la mise en scène en précisant que l’essentiel s’était fait en amont et au moment de l’écriture du scénario.

Il ne s’agit pas ici de faire l’éloge de l’improvisation et des films tournés sans scénario (nul n’ignore mon goût pour Rohmer, le plus littéraire des cinéastes) mais de réfléchir à ce que la caméra apporte, ensuite, à ce scénario (pour le dire vite, comme les mots s’incarnent dans l’image). Or pour moi, la caméra de Claire Denis ne fait qu’illustrer des intentions, même si elle le fait sur un mode « auteurisant » (narration elliptique, absence de psychologie des personnages, récit « atmosphérique »…).

Un exemple entre mille : le dernier plan du film est assez surprenant (je ne le révèlerai pas) et a surpris beaucoup de monde dans la salle. Quand une spectatrice a demandé quelques éclaircissement, la cinéaste a tout de suite donné une réponse nous orientant vers une interprétation « symbolique » (par ailleurs assez évidente). Alors que le film fait mine de fuir la psychologie et de jouer sur les non-dits, les béances du récit, cette fin abrupte supposée très ouverte s’avère finalement lourdement appuyée…

Avant que je prenne un autre exemple, résumons rapidement l’histoire de ce film. Nous sommes dans un pays africain en proie à la guerre civile. Maria, une française, refuse néanmoins de quitter sa plantation de café et va tenter de trouver du monde pour terminer la récolte malgré une menace sourde qui plane sans arrêt.

On voit ce que veut faire Claire Denis : créer une espèce de climat déliquescent et « chorégraphier » cette menace qui semble peu à peu encercler le domaine de Maria et de ses proches (son ex-mari, son fils). On retrouve la « griffe » de la cinéaste qui fait tomber en pamoison ses thuriféraires : une caméra sans arrêt en mouvement qui s’approche au plus près des corps, de la peau… Je reconnais que ce n’est pas « mal fait » mais ce maniérisme me laisse de marbre. Pour ma part, je ne ressens jamais la « sensualité » de ces corps, cette proximité des épidermes : ça reste froid et désincarné.

Pour illustrer ce ressenti me vient en tête un exemple tout à fait anecdotique mais pas tant que ça. A un moment donné, Isabelle Huppert entre dans sa salle de bain et soupire un « qu’est-ce qu’il fait chaud ». Or c’est la première fois, et uniquement parce que c’est dit dans le dialogue, que j’ai réalisé qu’il devait effectivement faire chaud puisque nous étions en plein cœur de l’Afrique. C’est donc une ligne de texte qui m’a donné cette indication et jamais la mise en scène ne m’a fait ressentir cette chaleur accablante, ni la moiteur de l’atmosphère…

Par ailleurs, White material n’est pas un « mauvais » film : Claire Denis possède un certain brio lorsqu’il s’agit de filmer et de faire bouger des corps dans le cadre. De plus, elle bénéficie d’un casting plutôt réussi quoique improbable : Isabelle Huppert n’a pas été aussi bonne depuis longtemps (peut-être depuis L’ivresse du pouvoir de Chabrol) et la cinéaste arrive à tirer quelque chose de cette asperge molle qu’est Christophe Lambert. Et si je trouve toujours à Nicolas Duvauchelle (lycéen à presque 30 ans !) le charisme d’un cassoulet en boite, nous sommes ravis de revoir dans des rôles assez monolithiques mais imposants les fidèles du cinéma de Claire Denis que sont Isaac de Bankolé et Michel Subor.

Mais au final, le résultat me semble maniéré et assez désincarné. Je ne crois pas vraiment au personnage de Maria (et encore moins aux autres) et je ne finis par ne plus voir que les intentions d’une cinéaste intelligente mais qui ne me touche pas…

 

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