Jimmy P. (Psychothérapie d'un indien des plaines) (2013) d'Arnaud Desplechin avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric

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Mon rapport au cinéma de Desplechin est assez particulier. D'une manière générale, j'aime beaucoup ses films mais je dois également concéder qu'il ne m'en reste, à chaque fois, presque plus aucun souvenir. Les seules traces qui restent dans mon esprit sont celles de feuilletés romanesques où le cinéaste parvenait à donner à des personnages a priori peu sympathiques (l'archétype du bourgeois intellectuel parisien) une véritable épaisseur et une dimension quasi mythique.

Lorsqu'il s'éloigne de son propre territoire comme autrefois avec le glacial Esther Kahn, je le trouve moins convaincant. Ce sont donc le même type de réserves que je vais émettre à propos de Jimmy P. puisque Desplechin délocalise son cinéma au cœur des États-Unis de l'immédiat après-guerre.

A cette occasion, il adapte un livre de György Dobo, psychanalyste juif hongrois naturalisé français sous le nom de Georges Devereux. Ce dernier (Mathieu Amalric) débarque dans une clinique du Kansas pour soigner un indien Blackfoot (Del Toro) blessé à la guerre et souffrant de douloureux maux de tête...

 

Si le décor est dépaysant (l'Amérique et ses plaines que nous ne verrons pourtant que très peu), on réalise très vite que Desplechin n'a pourtant pas fait autre chose que déplacer ses obsessions de l'autre côté de l'Atlantique. On retrouve tout ce qui fait l'essence de son cinéma : les conflits familiaux (l'indien vit avec une sœur autoritaire et n'a presque pas connu un père défunt), les névroses œdipiennes, les phobies refoulées, les rapports amoureux et le roman familial problématiques... Mais alors que ses précédents films (Rois et reines, Un conte de Noël) étaient foisonnants et d'une ampleur romanesque évidente, Desplechin opte ici pour un dispositif fermé beaucoup plus convenu. Une fois de plus, il faut souligner que le traitement frontal de la psychanalyse à écran est une fausse bonne idée. Après Cronenberg et son poussiéreux A dangerous method, Desplechin échoue partiellement à filmer une analyse. D'une part parce qu'il enferme son film dans un dispositif dialogué pas inintéressant intellectuellement parlant mais un peu pauvre cinématographiquement. D'autre part, parce que ce film ne sera, au bout du compte, que la résolution classique d'un problème psychanalytique et rien d'autre.

 

Si Jimmy P. reste néanmoins un film estimable, c'est que le cinéaste parvient parfois à prendre son dispositif de vitesse, notamment lors de scènes oniriques à la fois très simples mais très réussies. Parfois aussi, c'est par un sens du montage assez tranchant que Desplechin parvient à emballer un peu une machine partie dans un premier temps en toute quiétude sur des rails trop droits, à faire naître un peu de trouble et à incarner cet inconscient auquel il cherche à se frotter.

 

Mais globalement, son film est un peu trop « tautologique » dans la mesure où depuis ses débuts, Desplechin tourne des fictions névrotiques ouvertes et amples et qu'ici, il réduit cette dimension romanesque à un dispositif trop « évident » et fermé. De la même manière, ce déplacement sur le terrain du mythe (l'Amérique), Desplechin n'en fait pas grand chose sinon suggérer un « inconscient » évident (le massacre des indiens, le colonialisme – y compris celui de l'esprit que représente l'arrivée de la psychanalyse-...)

 

Finalement, c'est aussi dans l'interprétation que se dessine le semi-échec du film (mais également ses qualités). D'un côté, nous avons un Benicio Del Toro impeccable, bloc de granit à la fois dur et fragile qui joue avec beaucoup de subtilité ce personnage victime de nombreux traumas. De l'autre, un Mathieu Amalric qui surjoue pour être dans la tonalité des films précédents de Desplechin. Là encore, il y a dans cette interprétation un côté « tautologique » : le caractère novateur des expériences psychanalytiques de Devereux se traduit par un comportement « borderline » et trop excentrique pour être totalement convaincant. A l'image du film, Mathieu Amalric et son accent français exagéré donnent le sentiment d'une greffe qui ne prend pas : celle d'un cinéma romanesque et névrotique déplacé sur le territoire américain sans que quelque chose advienne ou dialogue véritablement.

 

Reste alors une certaine stimulation intellectuelle qu'offre cette histoire vécue et quelques petits dérapages qui prouvent que Desplechin n'a pas perdu tous ses moyens.

Mais on le préfère lorsqu'il avance sur des terrains plus familiers...

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