Des hommes et des dieux (2010) de Xavier Beauvois avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale

 bof.jpg

Il ne faudrait jamais débuter une critique comme ça mais j’avoue que l’incroyable unanimité dont a bénéficié le film de Beauvois me l’a fait immédiatement considérer comme suspect. Comment, sur un sujet pareil, parvenir à réconcilier les bobos branchouilles tendance Inrock, les sinistres crétins qui voient derrière chaque prêtre un pédophile en puissance, les crapules du Figaro, les grenouilles de bénitier les plus intégristes, les cinéphiles les plus exigeants et le grand public ?  Pour ma part, je pense que Beauvois a réalisé un film conforme à notre époque et à son goût pour le « débat » en parvenant à rester suffisamment distant et « tiède » afin de ne froisser personne. Les gens de foi verront dans Des hommes et des dieux une preuve de la grandeur de ces moines de Tibhirine assassinés dans des conditions qui demeurent aujourd’hui encore mystérieuses (islamistes intégristes ? l’armée ?) tandis que les autres souligneront le message « humaniste » de l’œuvre et son appel à la tolérance. Dans l’affreux jargon d’aujourd’hui, le film de Beauvois pourrait être qualifié d’ « œuvre citoyenne » (ça ne m’étonne pas du tout que l’éducation nationale lui ait attribué son grand prix !) dont l’unanimisme empêche d’emblée toute critique (on va me traiter de monstre pour ne pas y avoir adhéré !).

Je ne nie pas que le film possède certaines qualités. La première, c’est d’éviter la recherche à tout prix  des raisons de cet évènement et de faire dévier l’œuvre sur les sentiers battus du « film à thèse ». Beauvois pose un ensemble de questions mais évite les réponses schématiques. C’est déjà un bon point.

Mais l’aspect le plus fort de Des hommes et des dieux est bien évidemment son sujet dramatique. Face à la montée de la violence et du chaos, que faire pour ces moines qui assurent, à leur manière, une certaine protection pour les gens du village (notamment grâce à frère Luc qui soigne les malades) : abandonner ces habitants ou songer en priorité à leur sécurité et à leur vie ? Beauvois a le mérite de chercher à traiter cette question sous la forme d’une réflexion sur le partage d’un territoire commun. Il me semble avoir lu quelque part le mot « western » et, dans ses meilleurs moments, le film y fait parfois un peu songer.

Le spectateur connaissant le dénouement, le cinéaste rejoue la tragédie un peu à la manière du Train sifflera trois fois et se concentre sur l’attente du sort inéluctable de ces moines. Le plus beau moment du film est, à mon sens, la première intrusion des islamistes au cœur du monastère pour y réclamer des médicaments. Tous les enjeux du film se précipitent à cet instant : la question du territoire (Lambert Wilson fait sortir les fanatiques armés car il n’est pas question d’introduire de la violence dans « une maison de paix ») et celle d’une possible entente au-delà des différences culturelles et religieuses (le musulman respecte les fêtes religieuses chrétiennes et frère Christian ne refuse pas la main que l’homme armé finit par lui tendre). Si tout le film avait été de cet ordre, on aurait pu évoquer l’ombre de John Ford.

Malheureusement, Beauvois se révèle incapable de tenir cette note sur deux heures. L’une des raisons principales, c’est la platitude d’une mise en scène sans inspiration. L’accueil dithyrambique de ses deux derniers films me laissent assez songeur : Le petit lieutenant était déjà dénué de toute mise en scène et, mis à part quelques beaux plans larges assez décoratifs, Des hommes et des dieux ne s’élève guère au-dessus du niveau d’un bon téléfilm « culturel ».

Cet absence de style explique peut-être l’engouement pour ce film : on a toujours préféré ici Mauriac et Jean Guitton à Léon Bloy ou Bernanos ! Car plutôt que de risquer de se brûler avec un vrai parti pris formel (Cf. Bresson ou, récemment, le bien plus réussi Hadewijch de Bruno Dumont), Beauvois préfère rester à la surface et illustrer sagement les dilemmes de l’affaire : que faire face au fanatisme ? S’enfuir ou « résister » ? Quel est le rôle et la responsabilité de la France (et de son passé colonial) dans le chaos actuel de l’Algérie ?

On en revient à cette notion de « cinéma citoyen » où chaque « séquence » pourra donner lieu à divers « débats » où tout le monde y trouvera finalement son compte puisque à part un rejet consensuel du fanatisme (qui pourrait s’opposer à ça ?), le film n’avance rien.

Sans être un « film à thèse », Des hommes et des dieux est un film d’intentions et certaines sont même illustrées un peu lourdement, je pense à ce chemin de croix christique des moines qui passe par le dernier repas en commun (la fameuse scène accompagnée par Le lac des cygnes de Tchaïkovski, que je trouve, pour ma part, assez lourde et mélodramatique) puis la montée au calvaire (dans la neige). Par chance, certains sont parvenus à dissuader Beauvois de filmer le moment où l’on retrouve la tête des moines mais qu’il ait voulu la tourner montre bien le côté insistant de ce cinéma qui ne parvient jamais à exprimer autre chose que ce qu’il  montre. 

Encore une fois, le film n’est pas nul car son sujet est très fort et qu’il bénéficie d’une interprétation globalement convaincante (pour ma part, ceux qui m’ont le moins touché sont Wilson qui semble parfois un peu dépassé par ce qu’on lui fait jouer, même s’il tire très bien son épingle du jeu lors de certaines séquences ; et, contrairement à l’opinion générale, Michael Lonsdale qui a tendance à faire du Lonsdale et incarne le moine le plus « convenu » - en gros, le comique de service qui détend l’atmosphère par ses facéties).

Bref, on aurait souhaité que Beauvois « oublie » un peu son sujet et fasse un peu plus de cinéma : Des hommes et des dieux aurait alors pu être une œuvre d’art et non un simple « sujet de société »… 

Retour à l'accueil