Détruire, dit-elle (1969) de Marguerite Duras avec Michael Lonsdale, Catherine Sellers, Henri Garcin, Daniel Gélin

 ron.jpg

Décidemment, je ne vous ménage pas ces derniers temps. Comme promis, je tente de poursuivre le cours normal de ce blog en dépit du temps passé sur le « cinémarathon » mais comme les sorties en salles me paraissent dénuées d’intérêt en ce moment, je me suis rué sur une projection surprise d’une rareté signée… Marguerite Duras.

Je me doute que peu d’entre vous l’ont vu et que cette note risque d’être accueillie par un silence assourdissant mais tentons d’entamer un dialogue et de privilégier l’interactivité : où en êtes vous avec le cinéma de Duras ? Estimez-vous, à l’instar de Pierre Desproges, que « l’apologiste sénile des infanticides ruraux » n’a pas écrit que des conneries mais qu’elle en a aussi filmé ?

Si vous me permettez d’évoquer mon cas personnel, j’ai tenté il y a fort longtemps de découvrir cette œuvre au gré des (rares) diffusions télévisuelles. C’est ainsi que j’ai pu voir  India song et Nathalie Granger qui n’ont éveillé en moi qu’une prodigieuse somnolence. Vous savez pourtant que je suis passionné par toutes les formes de cinéma et que la partie la plus expérimentale du septième art ne m’effraie pas (j’aime Mekas, les premiers Garrel, les grattages de pellicules signés Len Lye et MacLaren, le cinéma d’Isou, de Lemaître, de Debord, de Courant etc.).

Pourtant, Duras et Robbe-Grillet, c’est épidermique : je ne peux pas ! 

Je me suis dit que j’allais offrir une nouvelle chance à la cinéaste en allant voir en salle ce qui constitue son premier long-métrage réalisé seule (le précédent, La Musica, a été coréalisé par Paul Seban).

D’emblée, on est en terrain connu : quatre personnages énigmatiques et hiératiques qui se languissent dans un grand parc et entament des conversations sibyllines sur l’amour, le désir, la folie, l’inconscient, etc. La caméra bouge peu et Duras commence déjà à filmer des « plans vides » agrémentés de leurs proverbiales voix-off.

Au bout de dix minutes, ces dialogues étiques si caractéristiques du style de l’écrivain (ah ces phrases de trois mots !) me sont passés totalement au-dessus de la tête et je me suis laissé gagner par une puissante léthargie que je recommande sérieusement à toute personne insomniaque.

Pour essayer d’aller plus loin que ce rejet un poil facile (je concède que je suis ici proche de  l’attitude stupide des journaux ciné  « grand public » qui estampillent d’emblée les films d’auteur comme du « cinéma chiant et soporifique »), je crois que ce qui me déplait le plus chez Duras, c’est cette pose avant-gardiste que je ressens à chaque plan. En ce sens, je suis entièrement d’accord avec les situationnistes qui voyaient en elle un symbole d’une culture en décomposition tentant vainement de recycler les signes de la modernité (Duchamp, Joyce…) pour reconstituer le « spectacle » de l’avant-garde.

Dans Détruire dit-elle, il est parfois question de ce que furent les vrais questions des avant-gardes artistiques : la destruction de l’Art (un des personnages dit qu’il faut arrêter de lire et se débarrasser des livres), son dépassement, la fin du vieux monde (Henri Garcin dit, dans l’un des seuls moments assez amusants du film[1] qu’il est « professeur d’histoire de l’avenir » et qu’il n’a plus rien à raconter, c’est pour cela que ses élèves dorment)… Mais rien ne vibre derrière ces phrases creuses et la joliesse décorative de la mise en scène : derrière les oripeaux d’une forme avant-gardiste, il s’agit avant tout d’un insipide mélodrame bourgeois à la Paul Bourget (ce n’est pas un hasard si, dès que l’on dépouille l’œuvre de Duras de ses dits oripeaux, on obtient un désastreux roman-photo comme L’amant de Jean-Jacques Annaud).

Certes, il y a quelques beaux plans dans Détruire dit-elle (un dialogue où l’une des deux femmes parle à l’extrémité gauche du cadre tandis que le reflet de l’autre lui répond à l’extrémité droite) et j’aime beaucoup le plan final avec cette réapparition surprenante d’un des personnages que je n’avais véritablement pas vu (je n’insiste pas plus pour ceux qui ne connaissent pas le film). Mais que tout ça est languissant et ampoulé. Les comédiens, même s’ils s’expriment d’une voix blanche, sont tous impeccables mais on aimerait qu’ils sortent un peu de ce parc et de cet hôtel étouffants. Ils parlent souvent d’aller dans la forêt (attention, symbole !) et le spectateur finit par ne demander que ça ! Oui, bougez ! Allez-vous perdre dans la forêt et que Duras nous refasse Le révélateur de Garrel (cette merveille absolue) ou même le trop méconnu Sombre de Grandrieux. Dans ces films il y a de l’inconscient, du désir enfoui, de la terreur enfantine et une sombre violence.

Quelque chose qui vibre, tout simplement…



[1] Marguerite Duras aurait-elle de l’humour ? Ca n’est pas totalement impossible puisque j’aime beaucoup le court-métrage très drôle que les Straub ont tourné d’après l’écrivain : En râchachant.

Retour à l'accueil