Love is strange (2014) d'Ira Sachs avec Alfred Molina, John Lithgow

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Il est assez amusant de découvrir Love is strange une semaine après Magic in the moonlight de Woody Allen et de comparer l'accueil de ces deux films. D'un côté, une quasi unanimité, de l'autre, une certaine condescendance voire un certain mépris (même si ce n'est pas encore trop vrai pour ce titre précisément) pour Woody Allen qui ne ferait que rabâcher.

Pourtant, les deux films s'inscrivent dans la même veine de la comédie sentimentale et le fait que Love is strange se déroule à New-York renforce le désir de comparaison. Si Woody Allen privilégie la comédie romantique, Ira Sachs se dirige de son côté vers le mélodrame.

Est-ce parce que le film aborde des problématiques plus contemporaines (le mariage homosexuel en premier lieu) qu'il remporte davantage de suffrages ? Sans doute mais essayons de ne pas tomber dans le piège de la généralité (car qui n'adhère pas, au fond, à la générosité du message du cinéaste?) et de s'en tenir au strict point de vue cinématographique.

 

George et Ben vivent ensemble depuis 39 ans et décident un beau jour de se marier. Malheureusement, cette décision entraîne le licenciement de George et le couple se voit dans l'obligation de quitter un bel appartement qu'il n'est plus en mesure de rembourser. Contraints de se séparer provisoirement, ils sont hébergés chacun de leur côté par des membres de la famille ou des amis.

 

La première chose qui frappe chez Ira Sachs, c'est la délicatesse de son trait. La séquence du mariage puis celle de la noce (avec un morceau chanté au piano) fonctionnent parfaitement. De cette petite communauté ravie de se retrouver autour de George et Ben se dégagent une chaleur et une harmonie qui fait penser au beau film de Capra Vous ne l'emporterez pas avec vous. Le problème, c'est que le cinéaste se laisse parfois piéger par sa délicatesse. On reproche souvent aux réalisateurs de ne pas « sauver » leurs personnages, de ne pas leur donner une chance. Dans Love is strange, c'est strictement l'inverse. Aucun des personnages, même l'ecclésiastique qui vire George, ne porte en lui une part de négatif. Par instant, l'unanimisme du film gêne un peu : on trouve des homosexuels vieux et jeunes, noirs ou blancs et certains sont même flics (mais sympas quand même!). Quand l'adolescent utilise le mot « gay » de manière péjorative, il est tout de suite précisé qu'il n'y a pas de connotation sexuelle autour ce mot chez les jeunes et qu'il ne stigmatise en aucun cas une préférence sexuelle (d'ailleurs, il semble attiré par son ami Vlad). Bref, même si la scène de licenciement me paraît un brin caricaturale, le cinéaste prend le parti de faire dire à son personnage qu'il restera un bon chrétien même s'il désapprouve les méthodes employées.

Pourquoi pas, après tout ? Mais cet œcuménisme (même l'ado se préoccupe des questions du « développement durable »!) qui frise parfois le prêchi-prêcha moralisateur (la voix-off de George pendant une leçon de piano qui s'adresse aux générations futures pour qu'elles ne soient plus jamais ostracisées en raison de leurs préférences sexuelles) fait que le récit est parfois un peu terne.

En effet, dans la mesure où tous les personnages sont tous parfaits ou presque (tolérants, généreux, plein d'empathie...), le film manque un peu d'aspérités. Dans toutes les scènes où Ben se trouve confronté avec sa nièce, son neveu et son petit-neveu ; on aurait aimé un peu plus de mordant. Car, au fond, un des sujets du film est bien là : que faire de deux corps rejetés par la société ? Or si le message de tolérance est évidemment précieux (ne me faites pas dire ce que je pense pas), il aurait aussi été intéressant de montrer en quoi ces deux « corps en trop » pouvaient gêner les proches (comme dans le sublime Voyage à Tokyo, par exemple). Souligner la dichotomie qui existe toujours entre des idées généreuses et la confrontation de ces idées au Réel.

 

Que la promiscuité se déroule sans le moindre heurt ou presque (la nièce est, tout au plus, agacée de ne pouvoir travailler quand son oncle n'arrête pas de parler) finit par rendre le déroulement du récit un peu morne. Heureusement, Ira Sachs a un sens quasiment « musical » du cinéma et il parvient à nous captiver par une manière assez belle de laisser flâner sa caméra, de privilégier les temps morts ou suspendus (ces beaux moments où Ben peint sur les toits de New-York).

 

La bonne idée qu'a le cinéaste, c'est de recentrer son film autour du couple vedette dans le dernier tiers du film. Il convient de souligner (mais ça a été dit partout, à juste titre) que le jeu de John Lithgow et Alfred Molina est absolument parfait. On croit immédiatement à ce couple et le cinéaste a le mérite de ne pas en faire un cas d'école. Ces deux hommes s'aiment: point. A partir de là, l'amour n'a rien d'étrange comme le suggère le titre mais s'avère parfaitement normal. Quand Love is strange délaisse un peu les personnages qui entourent le couple, il devient très beau avec une économie de moyens remarquable : deux mains qui se touchent pendant un concert de musique classique, une virée très drôle dans un bar homosexuel, une ellipse fulgurante et des plans finaux qui sont peut-être ce que ce j'ai vu de plus beau au cinéma cette année (un soleil couchant et une mélancolie qui m'ont fait penser à certains passages du Walden de Mekas).

 

Si tout le film avait été à l'image de son dernier tiers, on tenait un indéniable chef-d’œuvre. Dommage qu'Ira Sachs évite systématiquement le moindre conflit, la moindre noirceur ; empêchant Love is strange de décoller jusque là.

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