Erotisme et vampirisme
Le château des messes noires (1973) de Joseph W. Sarno avec Marie Forsa, Nadia Henkowa, Ulrike Butz (Editions Artus Films)
Sortie le 2 octobre
Du genre fantastique gothique, Joseph Sarno ne conserve qu'une vague toile de fond : un manoir isolé1, une gouvernante ambiguë, des ancêtres vampires qui viennent hanter les nouvelles générations... Mais très vite, même si le thème du vampirisme reste prégnant, on pourra constater que ce n'est pas cet aspect qui intéresse le plus le cinéaste.
Pionnier de la « sexploitation » dans les années 60, Joseph Sarno va très vite évoluer du cinéma érotique « soft » jusqu'au porno « hard » tout en conservant (c'est du moins ce qui se dit : je ne suis pas un spécialiste de ce réalisateur) un certain style. Au fur à mesure des hommages (Sarno est mort il y a peu) et des rétrospectives (à la cinémathèque française, entre autres), il s'est taillé une réputation de cinéaste « féministe », chantre du plaisir féminin et de son émancipation.
Beaucoup de ses premières œuvres (j'en ai vu une seule dans une version mutilée : Confessions of a young american housewife ) reprennent les schémas classiques des films hollywoodiens centrés sur le quotidien de femmes au foyer dans l'Amérique pavillonnaire des années 50. Mais Sarno se concentre avant tout sur la dimension explicitement sexuelle de cette « aliénation » féminine en montrant le caractère éminemment subversif du désir.
Si Le château des messes noires conserve cette dimension féminine (plus que « féministe », d'ailleurs), il s'agit néanmoins d'une œuvre assez atypique, tournée en Bavière au moment où les mœurs se libèrent et où la région va faire des « comédies érotiques » une de ses spécialités (nous rêvons de voir ces teutonneries qui doivent valoir leur pesant de kitsch!). Du coup, le film est davantage focalisé sur des rituels sataniques où les fidèles, seins nus, se livrent à d'étranges danses lascives. Menées par Nadia Henkowa (belle actrice qui vient, comme la splendide Ulrike Butz, de la série Schulmädchen-Report), ces rites semblent contaminer les malheureux visiteurs du château et exacerber leurs pulsions érotiques...
Les amateurs de fantastique resteront sans doute un peu sur leur faim mais les autres apprécieront une réalisation soignée et quelques séquences insolites que Sarno fait baigner dans des éclairages irréalistes (la teinte orangée de la lumière des bougies ou des filtres colorés rouges). Construit autour de rituels érotiques qui donnent loisir au cinéaste d'exalter (non sans un certain lyrisme) le corps de la femme, Le château des messes noires pêchent néanmoins par son caractère un tantinet répétitif. Le film évoque parfois le cinéma de Jean Rollin ou celui de Jess Franco mais sans parvenir à égaler leurs meilleurs moments. Moins amoureux du genre fantastique que Rollin, Sarno s'empare du mythe du vampire comme un prétexte. On pense alors davantage à La comtesse noire de Franco mais, cette fois, ce sont les visions érotiques qui paraissent moins audacieuses et plus convenues (même si, je le redis, certains passages sensuels sont assez réussis).
Néanmoins, comme le souligne Emmanuel Levaufre, il n'est pas inintéressant de voir par quelles ruses Sarno inverse les conventions du genre. La dimension « érotique » du mythe vampirique est explicitement exposée et elle permet au réalisateur d'inverser les rôles. La femme n'est plus « victime » de la séduisante créature de la nuit mais devient elle-même actrice de son désir. C'est elle qui mord le jeune homme et qui, symboliquement, le pénètre. Sarno prolonge donc sa réflexion sur l'émancipation du désir féminin en passant par la case « vampirisme ».
Il ne se prive pas, pour ce faire, de caresser langoureusement le corps de ses actrices à l'aide de sa caméra. En tête, une jeune inconnue qui allait devenir une des stars du genre dans les années 70 : la délicieuse Marie Forsa. Cette petite blondinette au nez en trompette retrouvera d'ailleurs Sarno pour des films plus corsés où les actes sexuels ne seront plus simulés (Butterflies). Face à elle, l'adorable Ulrike Butz, petite brunette qui joue admirablement de son air innocent avant de se transformer en furie vampiresque, fera chavirer les cœurs des spectateurs . Enfin, dans le rôle de la gouvernante, on retrouve une Nadia Henkowa à qui Sarno offre un rôle contrasté, de l'austère maîtresse de maison tout en noir à la chef de file déchaînée des servantes de la femme vampire.
Pour la splendeur de ses comédiennes et l'envoutement que suscite parfois les rituels mis en scène dans le film, Le château des messes noires mérite le détour et nous donne encore plus envie de poursuivre notre exploration de l'œuvre de Joseph Sarno.
1Dans le succulent bonus du film, Emmanuel Lefauvre nous apprend que ce château appartenait au producteur du film, d'où son envie de commander à Sarno un film fantastique !