Esprits frappeurs
Poltergeist (1982) de Tobe Hooper avec Craig T.Nelson, Heather O'Rourke
Mis à part le fait qu'il s'agit d'un souvenir d'adolescence (c'est peut-être le premier film fantastico-horrifique que j'ai pu voir), Poltergeist est le fruit d'une des rencontres les plus improbables de l'histoire du cinéma. D'un côté, Tobe Hooper, le réalisateur de l'inoubliable Massacre à la tronçonneuse, l'un des plus grands films d'horreur sauvage des années 70 ; de l'autre, Steven Spielberg qui est à l'origine de l'histoire de Poltergeist et qui a produit le film.
Le résultat est mi-figue, mi-raisin : de très bons moments, des passages plus agaçants et une approche du genre un poil hésitante entre le « merveilleux » spielbergien et une volonté d'offrir une vision plus noire du monde.
Concédons cependant que le film n'a pas trop mal vieilli : la photographie est assez somptueuse et la mise en scène de Tobe Hooper est efficace. A ce titre, la première demi-heure est sans doute la plus réussie. Le cinéaste parvient à rendre angoissante ces scènes d'exposition en jouant finalement avec très peu d'éléments : un peu de lumière, la neige de la télévision, des ambiances sonores spectrales... Les images de la petite Carol-Anne, quasi somnambule, devant l'écran de télévision sont étranges, fascinantes et assez oppressantes. A partir du moment où la fillette est enlevée par les esprits frappeurs, le film fonctionne moins bien dans la mesure où les effets-spéciaux prennent le pas sur la suggestion et donnent une touche un peu trop « train fantôme » à l'ensemble.
Du coup, le spectateur tente de démêler dans ce maelström de phénomènes paranormaux ce qui relève de Tobe Hooper et ce qui appartiendrait plus à Spielberg. Massacre à la tronçonneuse était un grand film sur une Amérique en crise qui voyait resurgir sur son territoire le spectre de la sauvagerie la plus extrême. Au début des années 80, la situation a changé et Hooper filme avec pas mal d'ironie cette Amérique reaganienne : la famille du film est une famille de « yuppies » vivant dans une maison pavillonnaire qui ressemble à toutes celles du voisinage. Cet univers aseptisé, le cinéaste se plaît à le dynamiter en soulignant que cette Amérique qui tente de renaître après les turpitudes des années 70 et de la guerre du Vietnam repose sur un monceau de cadavres. Il me semble que cette dimension, la plus intéressante du film, appartient à Hooper qui parvient à glisser une touche de noirceur (la scène où, victime d'hallucinations, le père s'arrache le visage, la séquence finale dans la piscine...) dans cette histoire de maison hantée.
Un des gros défauts du film vient du fait que ces phénomènes paranormaux n'effraient jamais les habitants du lieu et qu'ils les considèrent comme « normaux ». Lorsque les parents font venir une équipe de para-psychologues, ils ouvrent de manière blasée la porte de la chambre où tous les objets volent comme s'ils se trouvaient au cœur d'une tornade. J'y vois cette incapacité de Spielberg a envisager un tant soit peu l'altérité. Qu'elle soit bienveillante (E.T, Rencontres du troisième type) ou malveillante comme ici, elle est radicalement Autre et la cohabitation est finalement impossible. Du coup, le contrat de « croyance » du spectateur est rompu et il n'arrive pas à croire un seul instant à cette histoire (alors qu'on peut très bien marcher à une histoire irrationnelle du type Amityville).
Spielberg joue sur le double registre de l'émerveillement (le « son et lumière » auquel se réduit parfois ce déchaînement d'effets-spéciaux) et de l'effroi mais sans véritablement nous mettre sur le même plan que ces forces obscures.
Malgré son côté parfois sirupeux, Poltergeist intrigue par son approche assez tordue de la parentalité. En effet, le père et la mère sont d'abord présentés comme des adolescents attardés qui fument des pétards avant d'aller au lit. L'épreuve qu'ils vont subir permettra à la mère d'aller récupérer sa fille qui « accouche » littéralement une deuxième fois (comme dans The host). La séquence est parfaitement imagée puisqu'il y a une corde/cordon ombilical et que la petite revient de ce lieu mystérieux toute couverte d'une matière rouge et visqueuse. Symptomatiquement, la mère revient de cette épreuve avec deux grandes mèches grises : elle a vieilli et est devenue véritablement une « mère ». La maison de Poltergeist peut être vraiment vue comme une espèce de giron maternel et pour que la famille puisse avancer, il faut qu'elle quitte et fuie cet univers refermé. A la fin du film, le placard des enfants ressemblent à une sorte de matrice maternelle à laquelle il faudra échapper. On retrouve ici les obsessions névrotiques de Spielberg vis-à-vis de l'enfance (sa vision reste, à mon avis, très niaise) et une volonté ici, pour celui qui allait réaliser une des pires sucreries de l'histoire du cinéma (E.T), de rompre un peu avec elle pour accéder à l'âge adulte...