120 Cinématons de Gérard Courant (2006) (Editions Malavida)

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Un conseil : méfiez-vous des Cinématons ! C’est une véritable drogue : une fois qu’on en a vu quelques uns, on a envie de les découvrir tous, de les comparer, d’essayer de tirer des généralités de tous ces portraits uniques (qui « joue » le plus ? Qui se « laisse le mieux » filmer…)… Après les 25 cinématons de cinéastes célèbres loués ici, je me suis plongé dans le superbe coffret DVD édité par les éditions Malavida qui m’a permis dans découvrir une centaine d’autres de ces portraits. A cela, il faut ajouter un très intéressant entretien avec Gérard Courant et un passionnant documentaire que l’auteur à lui-même consacré à son mythique work in progress  (2270 films à ce jour !) intitulé 2000 cinématons (où l’on retrouve les complices habituels du cinéaste : Luc Moullet, Joseph Morder, Dominique Païni…).

 

Je ne reviendrai pas sur l’immense intérêt que présente ce dispositif inventé par Courant mais plutôt sur quelques constats qui semblent se dégager à la vision de ces 120 exemples divisés en trois catégories : 1-Les cinéastes, 2-Les comédiens, 3-Les « personnalités » (aussi bien les écrivains que les peintres ou les hommes politiques).

Pour les cinéastes, on retrouve un peu ce que j’avais déjà pointé dans ma note précédente : d’un côté, ceux qui offre une pure présence à la caméra de Courant en en faisant le moins possible (Robert Kramer tente le face-à-face en fixant lui aussi la caméra mais il échoue dans ce bras de fer infernal) et ceux qui jouent la carte du « dispositif », qui « mettent en scène » leur Cinématon. A ce titre, il faut distinguer le magnifique Cinématon de Paradjanov qui nous transporte avec un élément de décor et quelques accessoires dans l’univers de ses films, celui du belge Jean-Jacques Adrien qui se prend en photo avec un polaroïd et dégage du champ en laissant juste l’image du cliché apparaître petit à petit dans le champ (avec, à ses côtés, la photo qu’il a pris de Courant par la même occasion) ou encore celui de Boris Lehman qui cachera tout au long de son Cinématon son visage derrière des feuilles de papier où sont inscrits divers messages qui nous amènent à réfléchir sur ce que l’individu filmé « montre » réellement dans ces portraits muets.

Ce double principe de la présence ou du dispositif ; on le retrouve beaucoup dans les Cinématons des « personnalités ». Les écrivains, philosophes, critiques de cinéma ou scientifique, que ça soit Serge Daney, Philippe Sollers, Jean-Paul Aron, Jean Dutourd ou Henri Laborit, en feront le moins possible et se contenteront de leur simple présence (Jean Douchet va même jusqu’à se faire filmer couché). A ce titre, l’un des plus émouvants est peut-être celui d’un Frédéric Mitterrand qui livre sans pudeur sa détresse à l’objectif de Courant (il a presque les larmes aux yeux).

Inversement, les peintres et « performers » vont être plutôt dans le dispositif. Jacques Monory et Ernest Pignon Ernest sont pratiquement les seuls à jouer avec le cadre comme une surface peinte. Monory est habillé d’un t-shirt blanc sur un fond uni blanc, faisant ressortir son visage d’un espace presque abstrait. Ernest joue sur le noir (fond, habits…) et s’amuse à peindre (en noir également) une vitre placée entre lui et l’objectif. Ces artistes ne vont pas hésiter non plus à jouer avec leur corps. Courant laissant toute latitude aux « cinématonés » de faire ce qu’ils veulent, il fallait bien que certains se dénudent et c’est le cas de l’artiste multimédia Coco qui montre sa poitrine à la caméra (grâce lui soit rendue !). D’autres vont transformer leur visage en véritables masques, que ça soit Cécile Babiole qui le déforme complètement avec du scotch ou Else Gabriel dont le visage est recouvert de substances bizarres (farine ? ketchup ?) sans parler du rat qui loge dans ses cheveux !

Parmi ces portraits de personnalités, certains sont vraiment très drôles, que ce soit celui de Noël Godin (que j’ai déjà évoqué) ou le grand numéro de cabotinage de Jean-Pierre Bouyxou qui parvient également à apporter tout son univers dans son Cinématon (des numéros de Fascination, des photos érotiques- dont l’une est tirée d’un film de Jean Rollin-, de la lingerie fine…).

Pour ma part, c’est dans les « Cinématons » des comédiens que j’ai vu de grandes différences. Habitués qu’ils sont à être devant la caméra, il doit s’agir pour eux d’une expérience très perturbante d’être entièrement « maître » de leurs faits et gestes. Du coup, j’ai également distingué deux catégories de « cinématonés » parmi eux : ceux qui « posent » et ceux qui « jouent ».

La « pose » d’un comédien n’est pas exactement la même chose que la « présence » d’un cinéaste. On sent qu’ils ne veulent pas simplement « être » mais qu’ils veulent séduire l’objectif. C’est particulièrement flagrant dans les Cinématons de Lou Castel (qui se place de profil, les cheveux au vent), de Marie Rivière (là encore, elle semble avoir choisi la meilleure lumière pour faire ressortir le bleu de ses yeux), de Laszlo Szabo ou Richard Bohringer (dans le style « buriné » et « revenu de tout »).

D’autres vont choisir l’option du jeu, mais là encore, on va retrouver des différences entre comédiens expérimentés et ceux qui ne le sont pas. On est par exemple assez gêné de voir les numéros de grimaces d’un Farid Chopel ou d’un Jean-François Gallotte qui s’avèrent finalement assez peu drôles. Alors qu’un Gérard Jugnot va avoir l’intelligence de s’approprier le dispositif et d’en faire un véritable petit sketch. Les 3 minutes 30 muettes (l’horreur absolues pour un comique qui ne peut, de surcroît, pas bouger !) sont immédiatement associées à l’ennui et le comédien s’amuse alors à faire semblant de s’endormir et de se réveiller en sursaut. C’est minimaliste mais ça fonctionne plutôt pas mal (dans le genre, le « sketch » d’Alain Chabat n’est pas mal non plus).

Finalement, ceux qui séduisent le plus, ce sont les acteurs qui cherchent à poser et dont la surface « craquelle » pour révéler quelque chose d’autre. A ce titre, il faut voir le merveilleux Cinématon de Sandrine Bonnaire qui du haut de ses 15 ans tente d’abord de prendre la pose avant de laisser son visage s’éclairer par la grâce de son sourire unique. Le plus drôle, c’est que la comédienne a refait un Cinématon près de 15 ans après et qu’il est presque identique au premier. Elle tient plus longtemps la pose mais ne peut empêcher son sourire d’arriver et de révéler sa grâce et sa fraîcheur. Après avoir vu ces deux films, je crois qu’il est totalement impossible de ne pas aimer Sandrine Bonnaire (si c’était déjà concevable !)

J’aime aussi beaucoup le Cinématon de Julie Delpy. L’actrice a alors 14 ans et c’est tout simplement un ange diaphane lorsqu’elle pose. Mais sur la durée, on voit son visage qui doute, qui s’inquiète, qui est gêné et c’est assez fascinant.

C’est d’ailleurs amusant de voir que Courant a filmé des futures personnalités alors qu’elles étaient toutes jeunes et inconnues. Le cas le plus extrême est celui de Galaxie Barbouth, filmée bébé et qui tournera une dizaine d’années plus tard dans L’arbre, le maire et la médiathèque de Rohmer.  Mais citons également Isild Le Besco, filmée alors qu’elle n’avait que cinq ans ou encore un jeune chanteur de 20 ans (en 1984) jouant en amateur dans la région bordelaise et qui n’était personne d’autre que Bertrand Cantat…

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