Et si Lelouch n'avait pas toujours été mauvais?
L’amour avec des si… (1962) de Claude Lelouch avec Janine Magnan, Guy Mairesse
L’amour avec des si… est le deuxième long-métrage de Lelouch après l’échec cuisant de son premier opus Le propre de l’homme. Echec critique (on connaît la légendaire anecdote des Cahiers du cinéma consacrant deux lignes lapidaires au film : « Claude Lelouch… Retenez ce nom, vous n’en entendrez plus jamais parler !») mais également public.
Par un heureux ( ?) concours de circonstances, Lelouch parvient néanmoins à trouver un producteur qui lui confie la réalisation de scopitones (l’ancêtre du vidéo-clip) et le remettre à flot. Cette manne financière lui permettra de réaliser L’amour avec des si…, un film assez étonnant lorsqu’on le redécouvre près de 50 ans après sa réalisation ; mélange improbable d’une certaine modernité héritée de la Nouvelle Vague (le film doit beaucoup à A bout de souffle) et d’une vulgarité typiquement lelouchienne.
Par une nuit d’hiver, la radio annonce qu’un dangereux sadique (il a tué et violé de nombreuses femmes et même des petites filles) s’est évadé de la Santé. En dire plus me conduirait à trahir une des astuces du film qui s’amuse à jouer sur la notion de point de vue avec un certain brio.
De toute manière, le scénario importe peu : ce qui séduit dans ce film, c’est son côté « road movie » à la française et la manière dont Lelouch le met en scène.
Commençons par les défauts qu’on sent déjà poindre ici et qui deviendront vite insupportables dans la plupart des films de l’auteur : une certaine esbroufe formelle (quelques zooms « masturbatoires » -un coup en avant, un coup en arrière- feraient paraître sobre le cinéma de Jess Franco) et cette « vulgarité » dont je parlais plus haut qui n’est finalement que la dilution du langage cinématographie dans l’esthétique télévisuelle. Lelouch invente bien avant Besson et Beineix un cinéma publicitaire assez insupportable (Cf. ce « clip » des Brutos (avec quand même Aldo Maccione !) qui rompt brutalement la narration) ou totalement télévisuel (le long interlude de faux « cinéma vérité » où l’on voit Jacques Martin demander à des quidams leurs avis sur les sadiques. Les féministes apprécieront de voir le crapaud télévisuel se demander si dans les affaires de viols, les femmes ne sont pas un peu coupables de provocation !).
A côté de tous ces défauts, ces scories et ces excès, il se dégage de L’amour avec des si… une énergie assez vivifiante et un goût du cinéma qui transpire à chaque plan. Dans le Dictionnaire des films de Tulard, le film est jugé totalement « vide ». Or c’est cette vacuité qui me plait : Lelouch ne jouait pas encore au philosophe de café du commerce, édictant doctement platitudes et lieux communs sur l’amour, le hasard, la vie et tous les grands sujets imaginables (je n’ai pas vu La belle histoire mais rien que d’imaginer Gérard Lanvin en réincarnation du Christ, je pense que le résultat doit être gratiné !). Du coup, ce qui domine, c’est un sentiment de vitesse (il y a dans ce film une course entre deux voitures que j’ai trouvé plutôt bien filmé alors que je déteste généralement ces passages au cinéma) et une vraie liberté de ton.
Un des exemples les plus frappants, ce sont ces « collages » qui illustrent soudainement une parole entendue dans les dialogues (lorsque le héros du film se ballade sur les falaises du Débarquement, le cinéaste insère soudainement des images de la seconde guerre mondiale). Toutes proportions gardées, Lelouch fait du Godard « light » en recyclant les apports d’À bout de souffle et parvient à nous faire humer, de temps à autre, l’air du temps de l’époque.
Tout ça ne va pas très, très loin (le résultat fait quand même assez « exercice de style ») mais il se dégage du film une vraie fraîcheur et une vivacité très agréable à voir. Si Lelouch cherche trop ostensiblement le cadre insolite et à hacher ses plans, son montage témoigne néanmoins d’un certain sens du cinéma qui se diluera vite chez lui dans l’esthétique publicitaire et télévisuelle qui fera sa renommée (y compris dans l’horrible Un homme et une femme) et dont on sent poindre ici les prémisses.
Le plaisir l’emporte pourtant dans l’amour avec des si… film méconnu à redécouvrir avec curiosité…