Tant qu’on a la santé (1965) de et avec Pierre Etaix

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Troisième long-métrage de Pierre Etaix, Tant qu’on a la santé est, en fait, composé de quatre sketches indépendants. Dans un premier temps, un personnage prétexte faisait le lien entre les histoires mais il a disparu dans la version remaniée proposée par Pierre Etaix au début des années 70. C’est d’ailleurs à ce moment qu’a été intégré le premier sketch de l’ensemble, Insomnies, court-métrage tourné à l’origine en 1962.

L’un des principaux problèmes des « films à sketches », c’est qu’ils sont souvent inégaux. Et si ceux de Tant qu’on a la santé sont, dans l’ensemble, très réussis ; Etaix n’évite pas toujours cet écueil.

Insomnies qui ouvre le film est, selon moi, le moins intéressant et le moins drôle. Incapable de trouver le sommeil, le héros de cette histoire se met à lire un roman de vampires. Le récit alterne alors des séquences de la « reconstitution » de l’œuvre fictive et celles montrant les réactions apeurées du lecteur (un abat-jour tourné par mégarde donne soudain à la femme endormie du mari un visage glauque et effrayant). Si certains gags sont assez amusants (l’image à l’envers lorsqu’Etaix tient le livre à l’envers), le film est presque plus séduisant par son côté hommage aux films de Terence Fisher avec Christopher Lee. Etaix soigne son cadre, ses éclairages et parvient à rendre (en noir et blanc) plutôt bien l’atmosphère angoissante des films de la Hammer.  Mais du coup, ce qu’il cherche à gagner en poésie fantastique, il le perd en humour même si les transitions entre la fiction et la réalité sont assez habiles.

 

Plus réussi est Le cinématographe où l’on retrouve le sens de l’observation du cinéaste qui prend ici comme objet une salle de cinéma. Inutile de dire que les mœurs décrites ont bien évolué tant ces ouvreuses avec leurs lampes torches, ces salles bondées et ces fauteuils placés juste derrière le poteau de la salle semblent venir de temps antédiluviens. Mais le ballet orchestré par Etaix n’a pas vieilli et la mécanique burlesque est rondement menée. Une fois que le spectacle dans la salle est terminée, le cinéaste montre ce qu’il y a à l’écran et se lance dans une satire de la publicité assez drôle mais un peu datée ; d’autant plus que d’innombrables humoristes (de Coluche aux Nuls en oubliant sans doute les histrions contemporains pour qui je n’ai pas le moindre intérêt) se sont prêtés au jeu avec plus ou moins de talent. Le problème, c’est que cette parodie a tendance à durer et que Godard, en une minute, se montrait beaucoup plus percutant dans une fameuse scène de Pierrot le fou

 

Dans Tant qu’on a la santé, Etaix s’en prend encore une fois aux vicissitudes de la modernité : le bruit, la pollution, le stress (pour le coup, son discours est toujours actuel). Après une entrée en matière spectaculaire (une superbe séquence rythmée au son du marteau-piqueur), le film s’assoupit un peu dans les embouteillages qu’il décrit avant de reprendre du punch le temps d’un repas désopilant où le convalescent Pierre Etaix parvient à refiler sans préméditation tous ses médicaments à son voisin de table. Là encore, le comique confine à de l’horlogerie de précision et l’on rit de la manière dont le cinéaste parvient à orchestrer tous ces gestes.

 

Construit sur le simple principe de la saynète finement observée,  tous ces sketches pêchent parfois par quelques temps morts et quelques longueurs. C’est pour cette raison que Nous n’irons plus au bois, le dernier, apparaît comme le plus réussi. Il n’y a pas vraiment non plus de « récit » mais une ligne directrice plus tendue qui permet au cinéaste de donner le meilleur de son comique. Quatre personnages vont se retrouver liés le temps d’un dimanche à la campagne : un couple parti pique-niquer, un autochtone cherchant à clôturer son terrain et à couper du bois et un chasseur malhabile incarné par Etaix. Situation banale qui va permette au réalisateur de déployer son burlesque minimaliste et rigoureux (on admirera les gags qui se jouent dans la profondeur de champ). Ce comique est assez difficile à décrire avec des mots tant il repose sur le principe de la réaction en chaîne et naît moins du gag en lui-même (une chaussure qui tombe dans l’eau, ça n’est pas forcément très drôle en soi !) que de la construction alambiquée qui va aboutir à ce gag. Tourné dans un joli sépia, le film fonctionne une fois de plus comme une horlogerie sophistiquée dont la précision n’a pourtant rien d’asphyxiant. Il se dégage même de cette balade bucolique un délicieux parfum poétique suranné.

Tout Etaix est dans ce sketch : la finesse, l’élégance et un humour poétique qui, personnellement, continue de me ravir. 

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