La Vénus à la fourrure (2013) de Roman Polanski avec Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric

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Le film s'ouvre sur un long mouvement de caméra à la steadycam qui nous conduit aux portes d'un théâtre. Lorsque lesdites portes s'ouvrent, nous saurons que nous ne quitterons plus ce lieu clos jusqu'à la fin d'un récit en huis-clos, mettant en scène le face-à-face d'un metteur en scène (Amalric) travaillant sur une adaptation scénique de La vénus à la fourrure de Sacher-Masoch et une comédienne (Emmanuelle Seigner) qui peu à peu prend l'ascendant sur lui.

 

J'avoue que le début du film m'a fait très peur dans la mesure où Polanski repart du point où il nous avait laissés avec le médiocre Carnage : théâtre filmé vieillot, personnages caricaturaux, dialogues mesquins qui « typent » les personnages de façon extrêmement univoque. Soit, évidemment, un metteur en scène intello et pédant d'un côté et une comédienne cruche de l'autre. Le personnage qu'incarne Seigner au départ est très irritant : vulgarité surjouée, champ lexical digne d'une adolescente de 16 ans (ce terme « genre » qu'elle place à chaque phrase) et répliques idiotes qui ne servent à Polanski qu'à l'épingler.

On se doute qu'avec un tel point de départ, l'enjeu du film va consister à renverser la donne et montrer que l'intelligence n'est pas forcément du côté du metteur en scène mais de cette comédienne dont nous épousons d'ailleurs le point de vue « aveugle » (les deux scènes « extérieures » qui ouvrent et concluent le film). Lorsque Vanda commence à entrer dans le rôle, le regard que nous portions sur elle évolue mais de façon plus subtile que ce que l'on pouvait attendre. Polanski retrouve alors ce qui fait l'essence de son cinéma : l’ambiguïté, les rapports de domination et de soumission (Cf. Lunes de fiel), la complexité des liens entre les hommes et les femmes...

Peu à peu se met en place une relation complexe entre un metteur en scène qui dirige dans un premier temps et qui, peu à peu, se soumet aux désirs de son actrice. Les enjeux de l’œuvre de Sacher-Masoch se déplacent sur scène et servent à analyser les liens ambigus qui unissent un metteur en scène et ses comédiens. Le trouble est renforcé dans la mesure où c'est la propre femme de Polanski qui incarne cette « dominatrice » qui prend les rênes de la relation.

 

Le nœud principal de La vénus à la fourrure est, à mon sens, ce moment où, après une « explication de texte » de la part de Thomas, la comédienne affirme que la pièce est sur la « maltraitance -quel mot atroce- des enfants » ! Le dramaturge pique alors une colère en tonnant contre cette manie de l'époque de vouloir absolument tout réduire à des « problèmes sociaux » (les mauvais traitements contre les gosses, le sexisme, etc.). Ces salutaires répliques prouvent, d'une certaine manière, que Polanski n'a que faire des « discours » et que seules l'intéressent les affres de la passion et l'opacité des rapports amoureux. Pour le cinéaste, il y a toujours un dominant et un dominé dans une passion dévorante et il filme de manière très habile cette circulation du désir et les jeux de manipulations auxquels se livrent les personnages. Dans un premier temps, c'est Thomas qui pousse Vanda à se placer à un certain endroit de la scène et qui lui permet d'affirmer sa domination. Mais plus tard, la légère contre-plongée sur l'actrice jouant sur scène accentuera ce sentiment qu'elle est en train de renverser les rôles. Il est d'ailleurs piquant de constater qu'à la fin, la même contre-plongée sur Thomas bâillonné sur scène a le même effet : montrer sa soumission.

Polanski filme avec un certain talent les vertiges de la passion et la manière dont les individus peuvent se perdre pour l'être aimé. Lorsque Amalric se retrouve maquillé en femme et chaussé de talons aiguilles, on songe très fort au Locataire (l'acteur à une coupe de cheveux qui le fait ressembler à Polanski jeune!) et à la schizophrénie qui gagnait le personnage. La dernière séquence, dans le théâtre, onirique à souhait, est absolument magnifique et relève à la fois d'un total abandon de soi et du fantasme.

 

Malheureusement, La vénus à la fourrure ne parvient pas à être un grand film dans la mesure où le « discours social » resurgit de temps en temps. Le personnage de Vanda est parfaitement joué par Emmanuelle Seigner (par ailleurs d'une grande sensualité) mais il est peu crédible. Comment croire que l'idiote qui se présente d'abord au théâtre deviendra soudainement cette manipulatrice perverse capable de citer Bourdieu et toutes les grandes écoles françaises ? Si le trait avait été moins forcé dans un sens ou dans un autre, ça aurait pu être un personnage passionnant car on ne sait finalement rien d'elle.

Agaçante est aussi cette manie qu'elle a d'interrompre la répétition pour estimer qu'un passage est « sexiste » ou affirmer péremptoirement que Sacher-Masoch est un « pornographe »...On sent que le cinéaste veut payer son tribut au féminisme contemporain et plaquer du « discours social » au cœur même de cette passion qui n'en avait pas besoin. Car toutes les remarques « féministes » que Vanda fait au cours du film sur Sacher-Masoch et son adaptation sont d'une niaiserie incommensurable et, pire, ne correspondent pas du tout à ce qu'elle est en train de vivre avec Thomas.

 

Polanski n'avait pas besoin de ça pour prouver que dans ce jeu de dupes, c'est la femme qui sort toujours vainqueur...

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