Gainsbourg en vignettes
Gainsbourg (vie héroïque) (2010) de Joann Sfar avec Eric Elmosnino, Lætitia Casta, Lucy Gordon, Anna Mouglalis, Sara Forestier, Claude Chabrol
Dans un premier temps, il s'agit de faire abstraction des propos d'une rare stupidité tenus par Joann Sfar sur le «cinéma français » (on n'avait rien lu de pire depuis la lettre de Patrice Leconte aux critiques!). Ensuite, se résoudre à suivre une fois de plus un genre particulièrement périlleux : le « biopic ». Rien de plus assommant, la plupart du temps, que ces biographies d'artistes propices à toutes les reconstitutions poussiéreuses et aux chromos les plus éculés. D'un autre côté, je dois admettre que je prends également un certain plaisir (même s'il est souvent déçu) à me replonger dans l'univers d'un artiste admiré. Et pour le coup, j'étais assez curieux et impatient de voir ce que Sfar allait faire du grand Gainsbourg.
De toute évidence, le dessinateur cherche à éviter le récit classique et lorgne du côté du conte. Il ne s'agira pas d'un véritable portrait du chanteur mais d'une rêverie autour de ce personnage et de ses relations avec les femmes (plus que la carrière de Gainsbourg, ce sont ses relations avec les plus belles femmes du monde qui intéressent le cinéaste). Du coup, Sfar invente un « double » à Gainsbourg, une sorte de marionnette géante à son effigie qu'il surnomme « sa gueule » et qui apparaît comme une sorte de conscience du chanteur. Idée un peu scolaire du chanteur à « double face » (d'autant plus facile avec Gainsbourg qu'il a lui-même peaufiné son image de « Gainsbarre ») et qui va parvenir à substituer à sa vilaine trogne de petit enfant juif (inutile de rappeler que Gainsbourg a porté l'étoile jaune) celle d'un véritable séducteur et d'une star.
Pour cela, sa voix intérieure le poussera à renoncer à certaines ambitions : laisser tomber la peinture pour se consacrer à un art mineur (la chanson), se brûler les ailes au soleil de la célébrité en détruisant sa vie de couple...
Sur le papier, l'idée n'est pas totalement mauvaise même si elle est, je le répète, un peu convenue. Un petit détail purement cinématographique vient cependant troubler ce programme. Au tout début du film, Sfar filme le petit Lucien sur une plage et rate ostensiblement un raccord dans l'axe (la saute est vilaine). Ça pourrait être anodin sauf que Gainsbourg (vie héroïque) finit par n'être que ça : une succession de saynètes mal raccordées.
Le cinéaste se contente d'anecdotes (Bardot réclamant en susurrant à Gainsbourg la plus « belle des chansons d'amour », Gainsbourg chantant La Marseillaise à Strasbourg et mettant les paras au pas, l'article dégueulasse et sénile du rince-doigts Michel Droit...) qu'il ne cherche même pas à réellement articuler.
Parfois, l'effet « conte fantasmatique » provoque un certain charme, notamment lorsque Bardot débarque au son d'Initials BB (chanson sublime), habillée d'un petit short et de longues cuissardes (comme dans le clip d'Harley Davidson) ou quand Gainsbourg rencontre Boris Vian (malheureusement incarné par l'imbuvable Katerine) et qu'ils mêlent deux célèbres titres (Je bois et Intoxicated man). J'aime également le passage avec Juliette Gréco parce qu'Anna Mouglalis confère au moment un caractère onirique et éthéré...
En revanche, le reste est assez superficiel et un peu fastidieux, entre le musée Grévin (la ressemblance impressionnante entre Eric Elmosnino et son modèle) et l'anecdote insignifiante. Car derrière ce défilé de beau linge (Bardot, Birkin, Bambou, France Gall, Vian et même Brassens), Sfar se montre incapable de donner un peu d'épaisseur à son Gainsbourg et à offrir un véritable regard sur ce grand artiste (si ce n'est celui du fan émerveillé).
Encore un détail qui ne trompe pas : lorsque Gainsbourg rencontre France Gall (jouée par une Sara Forestier un poil trop pataude pour un rôle gracile), le spectateur attentif remarquera que trône au mur un tableau de Balthus. Puisque nous sommes avec la jeune chanteuse, il faut alors absolument évoquer le penchant du chanteur pour les jeunes filles. Tout le film de Sfar tient dans ce détail qu'il transforme en cliché : une certaine application (l'auteur a révisé son Gainsbourg), des séquences qui fonctionnent comme des vignettes avec idées bien soulignées (le judaïsme lors des saynètes relatives à l'enfance, le goût pour les nymphettes suggérées dans cette séquence précisément...) mais rien qui ne vient creuser sous cette surface trop lisse (une petite allusion à l'admiration pour Lolita de Nabokov et on passe à autre chose).
Sfar ne choisit pas entre un voyage réellement intérieur en compagnie de Gainsbourg et la reconstitution plus classique qui est ici particulièrement ratée (une voiture dans une rue déserte est censée nous replonger dans le Montmartre de la fin des années 50 et la scène de concert de Strasbourg semble avoir été tournée dans un petit studio avec 22 figurants!). Du coup, le résultat est un film sans réelle inspiration et sans souffle, plombé par de nombreux clichés.
On ne sauvera que quelques scènes pas désagréables et une bande-originale fort stimulante (forcément) qui aura au moins le mérite de nous donner envie de réécouter de toute urgence du Serge Gainsbourg...