Glamorama
The bling ring (2013) de Sofia Coppola avec Emma Watson
Qu'est-ce qui séduisait tellement dans les deux premiers longs-métrages de Sofia Coppola (Virgin suicides, Lost in translation) et qui semble désormais se déliter de film en film, au point d'atteindre aujourd'hui la limite du supportable ? Peut-être un équilibre subtil entre une forme « arty », lisse et une violence rentrée, une mélancolie sourde qui permettaient aux spectateurs d'aller au-delà des apparences.
Mais peu à peu, Sofia Coppola a épuisé son système en le vidant, d'une certaine manière, de son « contenu ». Ne reste plus alors qu'un contenant très chic mais sans réel enjeu, la cinéaste faisant – par exemple- de la souveraine Marie-Antoinette une adolescente mélancolique perdue dans les tourments de l'Histoire (avec un BO pop anachronique) ou filmant l'ennui dans les chambres d’hôtels de luxe (Somewhere).
Avec The Bling Ring, elle s'inspire d'un fait divers et nous narre les tribulations d'un groupe d'adolescents décérébrés (principalement des filles mais n'y voyez surtout pas un lien de cause à effet!) qui décide un jour de cambrioler les villas des stars de Los Angeles.
Je n'ai malheureusement pas pu voir Spring breakers de Korine mais sans doute que ce film m'aurait offert un bon moyen de comparaison tant leurs sujets sont similaires : le vide absolu d'une génération ne rêvant que de fêtes arrosées à toute sorte de substances et d'une réussite de télé-réalité (le fric facile, le luxe, le paraître à tout prix).
Le risque avec ce type de sujet, c'est de voir le cinéaste troquer sa casquette d'artiste pour celle du procureur et rechercher la connivence avec un public acquis d'avance pour condamner fermement ces ados incultes. Pépère Tavernier avait fait ça avec son déplaisant L’appât, également tiré d'un fait divers, qui montrait l'irresponsabilité de jeunes gens confondant le Réel et leurs rêves (se limitant d'ailleurs au miroir aux alouettes de la la pub et de la consommation).
Sofia Coppola opte pour un regard « neutre ». On sent qu'elle cherche à faire suinter la bêtise crasse de ces poupées californiennes ne jurant que par des sacs à main ou des chaussures à talons démesurés (personnellement, j'avais envie de les étrangler à chaque fois qu'elles s'exclamaient « oh my God », soit toutes les trois minutes!) mais elle a eu l'honnêteté de tenter de se mettre à leur niveau, de ne pas les juger. L'écueil qu'elle ne parvient alors pas à éviter, c'est celui du « comment filmer le vide sans tomber soi-même dans ce vide ?»
Très vite, on réalise que The bling ring est une coquille creuse. Pas forcément laide (Sofia Coppola possède un indiscutable talent de cinéaste, nous y reviendrons) mais désespérément vide et sans enjeux. Des cinéastes comme Larry Clark ou Gus van Sant sont également parvenus à filmer à « hauteur d'adolescents » des individus qui n'étaient pas forcément non plus des lumières. Mais il y a chez eux une véritable force d'incarnation , une opacité et une violence prête à exploser à tout instant.
Sofia Coppola se rêve sans doute plus en épigone de Warhol (ses ados ne rêvent-ils pas, au fond, à ce fameux quart d'heure de célébrité promis à tout un chacun par l'artiste?) et pense que le contenant suffit à créer du contenu, qu'une boite de conserve peinte sur une toile doit obligatoirement signifier une critique du consumérisme à tout crin1.
Du coup, elle peaufine son film en soignant l'emballage, un écrin chic et toc à l'image de ce luxe exhibé qui fait rêver le groupe de filles. Elle le fait d'ailleurs avec un certain talent. La photo du regretté Harris Savides est très belle et certains plans sont très réussis, comme celui de ce braquage « muet », uniquement baigné dans une bande sonore saturée. Ou encore ce long plan presque fixe sur une maison totalement transparente où la caméra zoom imperceptiblement sur nos deux héros en train de commettre leurs méfaits. Ce plan résume parfaitement ce qu'est devenu le cinéma de Coppola : une sorte de bulle luxueuse, une esthétique de la transparence qui ne recèle finalement que du vide.
La meilleure scène est indéniablement un très surprenant accident de voiture, filmé de manière radicalement opposée à ce qui se fait usuellement en terme de découpage (on reste ici dans l'habitacle et la violence du choc est très surprenante). Pourquoi trouvé-je ce passage intéressant ? Tout simplement parce que la violence refoulée et réduite à une imagerie convenue (les jeunes qui se défoncent en coupant leur coke avec une carte de crédit et en sniffant la poudre avec des billets de banque) fait soudainement une irruption imprévue. Cette violence que montre également quelqu'un comme Brett Easton Ellis, également fasciné par les oripeaux de la société de consommation qu'il parvient néanmoins à critiquer de manière imparable.
Dans The bling ring, la cinéaste élude tous ces aspects (on pourrait également souligner le caractère très puritain de ce film qui devrait, à l'instar de Spring breakers, être extrêmement sexué) pour n'être plus que dans une fascination du même ordre que celle des gamines du gang. Du coup, certaines séquences au ralenti frisent le ridicule et relèvent davantage de la mauvaise pub pour parfum que du cinéma.
Encore une fois, Sofia Coppola n'est pas dénuée de talent, loin de là. Gageons qu'elle retrouve enfin un sujet qui lui permettra de laisser s'épancher son lyrisme mélancolique et la délicatesse de son trait...
1 Je réalise en écrivant ce texte que mon peu de goût (c'est un euphémisme) pour le « Pop art » n'est peut-être par pour rien dans l'agacement que m'a provoqué ce film.