Un monde sans femmes (2011) de Guillaume Brac avec Vincent Macaigne, Laure Calamy, Constance Rousseau

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C'est un privilège redoutable pour un premier film que de devoir systématiquement ployer sous le poids des comparaisons. Et c'est un peu ce qui est en train d'arriver à Guillaume Brac dont Un monde sans femmes est accueilli sous un concert d'éloges. Mais si ces éloges sont amplement mérités, pourquoi alors vouloir accabler le cinéaste par ces multiples références ? D'autant plus que certaines me paraissent totalement erronées. Pour prendre un exemple, j'ai du mal à voir un quelconque rapport avec le cinéma de Rohmer : Guillaume Brac ne signe pas un film « littéraire » et les obsessions de l'auteur de Conte d'été quant à l'espace et la « géométrisation » des situations me semblent absentes ici. Alors d'accord, le film a été tourné à la plage mais pourquoi ne pas alors convoquer les figures tutélaires de Michel Lang ou Max Pécas ?

En revanche, la référence à Rozier me semble davantage justifiée et c'est peu dire le plaisir qu'on a de découvrir un film qui s'inscrive dans la tradition d'un sublime chef-d’œuvre comme Du côté d'Orouët.

Mais ce qui fait encore plus plaisir, c'est d'assister à la naissance d'un véritable cinéaste qui tourne ostensiblement le dos à toutes les modes en vigueur. Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu un premier film français évitant ainsi tous les tics du cinéma d'auteur contemporain : naturalisme, sociologisme, misérabilisme etc.

 

La première des qualités d'Un monde sans femmes, c'est de parvenir à faire exister un véritable personnage de cinéma.

Sylvain (Vincent Macaigne) apparaît d'abord dans Le naufragé, un très beau court-métrage de Brac proposé en complément de programme. C'est par ce biais que nous faisons la connaissance de ce jeune provincial solitaire et malheureux en amour. Il tente ici d'aider un cycliste en panne mais ses attentions vont vite avoir des effets inverses à ceux escomptés...

Dans Un monde sans femmes, il loue un appartement avec vue sur la Manche à deux jolies parisiennes (la mère et la fille) et se laisser séduire par ces deux jeunes femmes...

Dans le rôle de Sylvain, Vincent Macaigne est admirable et compose un personnage lunaire, solitaire et mal dans sa peau. Le talent de Guillaume Brac tient dans cette manière qu'il a de faire exister à l'écran un type de personnage finalement peu vu au cinéma : l'homme timide et tétanisé à l'idée d'avouer ses sentiments à une femme. Il le fait avec beaucoup de finesse et de nuances : Sylvain a beau n'être ni un psychopathe (souvenons-nous de ce qu'écrivait Houellebecq dans Plateforme : « C'est un peu un regret, dans ma vie, le célibat. C'est surtout gênant pour les vacances. Les gens se méfient des hommes seuls en vacances, à partir d'un certain âge : ils supposent chez eux beaucoup d'égoïsme et sans doute un peu de vice […]) ni un asocial (il a des amis et il est toujours avenant, serviable et doux) ; il ne parvient pas à oser franchir le pas.

Rarement on aura montré aussi bien à l'écran à quel point la timidité peut rendre maladroit et gauche. Ni combien elle peut être pesante surtout lorsque ceux autour semblent à l'aise et sûrs d'eux. Guillaume Brac nous propose une très belle scène de boite de nuit où le cadre isole Sylvain dans sa bulle (on sent très bien son malaise à se trémousser malhabilement) tandis que les deux filles et le séducteur s'amusent de concert. Le montage suggère dans un premier temps que le jeune homme est très éloigné du groupe mais un bref panoramique révélera qu'il dansait à côté. En quelques plans, Brac est parvenu à nous faire ressentir l'isolement et la solitude du personnage.

 

Tout l'art de la mise en scène de Brac tient dans cette façon de faire sentir ce léger décalage entre Sylvain et le monde. Et une manière très subtile de jouer les funambules entre un présent immédiat et le sentiment du temps qui passe (celui des occasions ratées et des regrets).

Un monde sans femmes oscille sans arrêt entre le léger et le futile (ces saynètes amusantes où l'on partage les jeux puérils des vacanciers) et une véritable mélancolie qui pointe le bout de son nez lorsque les vacances se terminent. Avec son air de ne pas y toucher, le cinéaste parvient à capter quelque chose de « l'air du temps » sans pourtant s’embarrasser de l'arsenal psychologique ou sociologique de rigueur.

 

N'empêche que cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu des personnages aussi vrais à l'écran (aucun n'est méprisé ou négligé) et qu'on avait traité avec autant d'acuité les thèmes de la solitude, de l'isolement provincial (en dehors de la période estivale, la ville d'Ault où habite Sylvain est un véritable mouroir!) et de la misère sexuelle.

Et cela faisait aussi longtemps qu'on n'avait pas senti un tel bonheur de filmer et de saisir la beauté fugace d'un rayon de soleil sur une épaule féminine dénudée.

 

Avec Un monde sans femmes (et Le naufragé), une évidence s'impose : un cinéaste est né. Puisse-t-il ne jamais s’enivrer des bons retours que son film suscite afin de conserver longtemps cette fraîcheur et cette liberté devenues si rare dans le cinéma d'auteur contemporain...

 

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