Skorecki déménage (2009) de Louis Skorecki et Raphaël Girault

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En 2007, Louis Skorecki décide de quitter Libération alors qu’il y travaille depuis 25 ans. On ne reviendra pas sur les différentes crises qu’a connu le quotidien (arrivée de Rothschild comme actionnaire principal, départ de July et arrivée de Joffrin…), ce journal ne nous ayant jamais beaucoup intéressé (pour ma part, je ne l’ai jamais acheté et je ne l’ouvrais en bibliothèque que pour… la chronique de Skorecki !).

Toujours est-il que pendant sa période de préavis, le critique doit déménager et demande à Raphaël Girault de filmer ce déménagement. Après deux jours de tournage, il reçoit une lettre lui demandant de ne plus remettre les pieds au journal…

Skorecki déménage, donc, mais à tous les sens du terme. D’un côté, on le voit faire ses cartons, discuter avec ses collègues (Azoury, Douhaire, Lefort et d’autres) et leur poser des questions sur l’avenir de Libération et sur la place (là encore, à tous les sens du terme) qu’ils vont y occuper. De l’autre, on voit notre bonhomme, Diogène contemporain, alpaguer Joffrin ; cracher sur le nivellement général de la presse (« tout le monde aime la même chose », « on fait les mêmes choix qu’à Télérama »…) et décoller ses articles du mur (« les gens d’ici n’ont pas les yeux assez propres pour les lire »). Il y a chez Skorecki acteur à la fois un côté burlesque (il agit comme le grain de sable salutaire qui vient enrayer les rouages trop bien huilés de la machine) et enfantin (d’ou ces dialogues constants avec un autre Louis, le petit garçon qui jouait déjà dans le dernier volet des Cinéphiles).

Il y a aussi chez lui un côté héros de western (certains ont parlé du dernier des Apaches, ce n’est pas faux) : fidèle à une certaine idée de la presse qu’il a incarnée pendant plusieurs décennie, Skorecki lutte avec un fier panache contre les marchands de tout poil, les cyniques et autres arrivistes. L’un des plus beaux moments du film est lorsqu’il débarque dans une réunion de la rédaction sans y avoir été invité. Comme tout bon western, le film sait que tout est question de territoire : Skorecki se tient debout, en retrait, isolé de cette table où les gens assis (pour ne pas dire couchés !) font le journal du jour. Sur un sujet épineux (le « cas » Dieudonné), notre fier héros décoche sa première flèche ( les mots ne sont pas les actes et Dieudonné n’est pas comparable à Papon). Le ton monte très vite du côté de la rédaction tandis que le grand chroniqueur reste stoïque. Peu s’en faudrait pour que tout dégénère en pugilat (il faut voir le regard haineux de Joffrin, qui est un peu l’équivalent à Libé de ce que Philippe Val fut à Charlie-Hebdo : un sinistre pantin médiatique prêt à bouffer à tous les râteliers pour quelques miettes de pouvoir). La scène est à la fois très drôle et en dit long sur le peu de conscience qu’il reste désormais dans le monde de la presse.

Skorecki agit comme un révélateur : il déambule pieds nus dans les couloirs du journal et évoque non sans une certaine tristesse la fin d’un monde dont il fut l’un des plus fiers hérauts.

Comme certains héros de westerns crépusculaires, il sait qu’il n’y a plus de place pour lui dans cet univers cynique et mercantile. Il fait alors ses cartons et se dirige en homme seul vers l’horizon.

Reste alors aux spectateurs d’espérer que ces aventures ne soient pas totalement terminées et que nous aurons l’occasion de le recroiser sous d’autres cieux plus hospitaliers.

So long, Louis…

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