Il était une fois le kung-fu
The grandmaster (2013) de Wong Kar-Waï avec Tony Leung, Zhang Ziyi
En découvrant The grandmaster, le dernier film du grand Wong Kar-Waï, je me suis surpris à penser à Chicago de Rob Marshall, ce qui n'est jamais très bon signe. Quel rapport, allez-vous me demander et pourquoi un rapprochement aussi incongru ?
Tout simplement parce que ces deux films se veulent des espèces de relectures néo-classiques de genres tombés en désuétude : la comédie musicale pour Chicago, le film de kung-fu pour The grandmaster. Or ce qu'il y a de particulièrement raté dans Chicago, ce sont les scènes de danse où un montage haché et tonitruant tentait de masquer l'incapacité des acteurs à danser (si Richard Gere était Fred Astaire, ça se saurait!) et du cinéaste à orchestrer de véritables chorégraphies et à imprimer un rythme aux morceaux musicaux.
Toutes proportions gardées (le film de Wong Kar-Waï est très supérieur à celui de Marshall), on retrouve ce problème dans The Grandmaster. Le cinéaste peine à mettre en scène les combats de kung-fu et procède à un découpage tellement chichiteux (ralentis, inserts décoratifs...) qu'il n'arrive jamais à donner une dimension chorégraphique à ces séquences. L'ouverture du film me semble particulièrement ratée mais c'est peut-être dans un passage plus anodin que se lit l'échec du film. A la fin de l’œuvre, Wong filme un personnage en train de s'entraîner et d'enchaîner quelques mouvements de kung-fu. Or au lieu de se concentrer sur ces enchaînements et la beauté des gestes, il préfère laisser glisser sa caméra sur une branche de cerisier en fleurs. Ce petit détail révèle les limites du projet : le caractère abstrait et éthéré de la mise en scène du cinéaste peine à s'accorder avec la dimension physique, concrète et chorégraphique du kung-fu.
De ce point de vue, la mise en forme des combats est beaucoup plus percutante dans des films comme Tigre et Dragon d'Ang Lee ou Kill Bill de Tarantino, sans parler des classiques du genre signés Chang Cheh ou Liu Chia-Liang. Il manque également la dimension ludique de ces films. Wong Kar-Wai, en se concentrant sur le problème de la succession d'un maître du kung-fu qui est parvenu à unifier les techniques du nord du pays et celles du sud, propose une approche assez sérieuse du genre et tente une fresque sur l'histoire de cet art martial. Le problème, c'est que la mise en scène (je parle surtout du découpage beaucoup trop saccadé) ne parvient jamais à nous montrer la spécificité des différentes techniques (alors que je comprends la technique du Zui Quan -poing ivre- dans Combats de maître avec Jackie Chan) et ne laisse voir que des fragments d'individus se tapant dessus.
Malgré cette dimension ratée, The grandmaster n'est pas un film totalement négligeable. Wong Kar-Waï parvient même à nous séduire lorsqu'il revient à ses fondamentaux : la fuite du temps, la mélancolie. On devine que son ambition est de réaliser, à l'échelle de la Chine, une sorte de remake d'Il était une fois en Amérique de Léone (il a d'ailleurs recours à la musique de Morricone). Cette dimension mélancolique permet au cinéaste de nous offrir quelques jolis moments, notamment une superbe rencontre entre Tony Leung et Zhang Ziyi, toute simple (un champ/contrechamp qui nous reposerait presque de toutes les afféteries esthétiques du film!) où le charme du romantisme exacerbé du cinéaste opère et rappelle (enfin!) ces sublimes chefs-d’œuvre que sont In the mood for love et 2046.
Si on le compare au tout-venant des sorties hebdomadaires, The Grandmaster mérite bien évidemment le détour. Mais venant d'un cinéaste aimé comme Wong Kar-Waï (qui avait déjà touché au kung-fu dans Les cendres du temps, qui n'est d'ailleurs pas le film que je préfère de l'auteur), on ne peut pas s'empêcher d'être un peu déçu. Comme s'il était passé à côté de son sujet, par excès de style et de sérieux...