Il Maestro
Qu'il est étrange de s'appeler Federico (2013) d'Ettore Scola avec Tommaso Lazotti, Vittorio Viviani . (Éditions Carlotta Films). Sortie le 7 janvier 2015.
Il n'est pas rare que des cinéastes fassent appel à d'autres cinéastes pour qu'ils tiennent leur propre rôle dans un film (Fuller et Lang chez Godard, DeMille chez Wilder etc.). Il est aussi souvent arrivé que des cinéastes consacrent un documentaire à un réalisateur aimé : que ce soit le Nick's movie de Wim Wenders ou la longue saga Cinéastes de notre temps de Labarthe et Bazin. Du Chaplin d'Attenborough jusqu'au tout récent Pasolini en passant par le superbe Ed Wood de Burton, il y eut quelques « biopic » consacrés à des cinéastes. Mais je crois qu'il n'avait jamais été fait un film comme Qu'il est étrange de s'appeler Federico, évocation nostalgique d'un cinéaste (Scola) pour un autre (Fellini). Le seul film auquel on pourrait éventuellement le comparer, c'est le Jacquot de Nantes d'Agnès Varda puisque dans les deux cas, il s'agit de peindre la figure d'un cinéaste sous l'angle d'un rapport affectif (amical pour Scola, amoureux pour Varda).
La première scène laisse présager du pire : Fellini est assis seul et contemple, de dos, un coucher de soleil sur une mer reconstituée dans les studios de Cinecitta. Il fait passer un casting et défile alors tout le folklore lié au maestro : femmes plantureuses, jongleurs, cracheurs de feu... On craint donc l'hommage poussiéreux qui se contenterait de singer paresseusement l'univers baroque de Fellini. Mais Scola bifurque une première fois pour nous raconter, en noir et blanc, les débuts de Fellini au journal satirique Marc'Aurelio en 1939 en tant que caricaturiste. C'est en ces lieux que Scola le rencontrera huit ans plus tard en débutant de la même manière. Après la guerre, Fellini est toujours au journal mais il écrit des scénarios et commence sa carrière de cinéaste. Toute cette évocation mi-amusée, mi-nostalgique fonctionne plutôt bien car on y retrouve une atmosphère de salle de rédaction (avec le patron qui réagit avec le même air lugubre aux gags de ses dessinateurs : « celui-là m'a fait rire ») et l'impertinence qui y règne trouve des échos dans l'actualité du jour (la disparition tragique des dessinateurs de Charlie-Hebdo).
A partir de ses souvenirs amicaux, Scola réalise une œuvre composite où les images documentaires se mêlent à des saynètes reconstituées, où le récit d'anecdotes est parfois interrompu pour laisser place à une illustration d'une histoire imaginée par Fellini. L'ensemble est vraiment très plaisant et se regarde avec beaucoup de plaisir. Tout n'est pas du même niveau et le bât blesse lorsque le cinéaste cherche à retrouver le « pittoresque » fellinien. Les deux hommes avaient l'habitude de faire de longues balades en voiture, au hasard des rues. Les deux rencontres insolites que reconstituent Scola (avec une émouvante prostituée et un peintre de rue excentrique pas du tout impressionné d'être dans la voiture de Fellini et affirmant que le cinéma n'est que le septième art alors que la peinture est le troisième) sont un peu ratées, beaucoup trop académiques pour toucher. En revanche, le film fourmille aussi de bonnes idées, comme cette évocation de Mastroianni et de la mère de l'acteur qui vient demander à Scola (joué par un acteur) pourquoi son fils est toujours laid dans ses films alors qu'il est magnifique chez Fellini. Une succession de courts extraits corrobore cet avis. Cette anecdote permet à Scola de rebondir jusqu'au Casanova en expliquant que Fellini fit faire des essais à tous les grands acteurs italiens de l'époque sauf... Mastroianni. On imagine que le maître, voulant « salir » le mythe du grand séducteur, ne voulait pas « salir » par la même occasion sa vedette et son alter-ego. Par la suite, on verra des extraits (que je trouve assez exceptionnels : je ne sais pas si on les avait vus auparavant) des essais effectués par Sordi, Tognazzi et Gassman en Casanova (Sordi est assez tordant, surtout quand il implore Fellini de lui donner une scène et de ne plus le laisser improviser).
Scola n'est sans doute pas (plus?) un grand cinéaste et son film souffre parfois d'un certain académisme (le côté album de photos vieillot qu'on feuillette au coin du feu) mais il parvient néanmoins à emporter l'adhésion par sa fantaisie et par la variété des situations qu'il met en scène. A ce titre, la fuite finale de Fellini vers un carrousel qui donne lieu à un montage virevoltant d'extraits des grands films du cinéaste (et qui donne envie de revoir dare-dare toute son œuvre!) est assez magnifique.
D'aucuns trouveront le film désuet et académique mais il est porté par une passion et un amour du cinéma qui le rendent émouvant et assez injustement mésestimé...