Les adieux à la reine (2012) de Benoît Jacquot avec Léa Seydoux, Diane Kruger, Virginie Ledoyen, Marie-Julie Parmentier, Xavier Beauvois, Michel Robin

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D'une certaine manière, Les adieux à la reine représente le symptôme le plus parfait de l'évolution d'un certain cinéma d'auteur « à la française » depuis quelques années et celui de l'abdication totale de toute pensée critique. Vous me direz que le fardeau est peut-être un peu lourd à porter pour ce seul film mais je vais tenter d'étayer ce jugement lapidaire.

Benoît Jacquot représenta pendant un certain temps le prototype du cinéaste exigeant et austère, réalisant des films confidentiels et personnels. Petit à petit, grâce à de jolis films axés autour de figures féminines fortes (La désenchantée, La fille seule, Le septième ciel...), il est parvenu à sortir de la confidentialité en conservant, par ailleurs, cette estampille « auteur » le faisant accueillir systématiquement à bras ouverts par la critique « officielle ».

Et c'est ainsi qu'au fil de films pourtant de moins en moins intéressants (L'intouchable, Adolphe...), il est parvenu (à l'instar de cinéaste comme Olivier Assayas, André Téchiné, Claire Denis ou Christophe Honoré) à conserver son aura; la signature faisant maintenant office de style pour les critiques salariés.

 

Pour le dire très abruptement, Les adieux à la reine est un téléfilm de prestige où rien ne manque : de beaux costumes, quelques plans larges et décoratifs du château de Versailles, de nombreux figurants et des intérieurs luxueux. Rien ne manque sauf le cinéma. Dénué de toute émotion et de tout romanesque (faut-il rappeler qu'il s'agit pour le cinéaste de nous faire partager les sentiments passionnés de la lectrice -Léa Seydoux- pour sa reine Marie-Antoinette au moment des premiers soubresauts de la Révolution française?), le film est d'un académisme total. En 2012, Jacquot refait un film qu'auraient pu tourner 60 ans plus tôt des gens comme Delannoy ou Christian-Jaque.

Sauf que pour plaire au public lettré et à la critique, il souligne ses intentions avec une certaine lourdeur et appose, ça et là, une « griffe » qui a remplacé toute idée même de mise en scène. Cette « griffe » qui doit l'identifier immédiatement comme « auteur », on la retrouve dans ces passages artificiels où il filme caméra à l'épaule son héroïne déambulant de dos dans les couloirs du château, tel la Rosetta des frères Dardenne. Non seulement le cadre incertain permet d'introduire une illusion de « modernité » dans le déroulement morne du récit, mais il permet en plus de tisser des liens avec des films précédents du cinéaste (on pense bien évidemment aux incessantes marches de Virginie Ledoyen dans l'hôtel de La fille seule). De la même manière, les références à Marivaux feront échos chez les fans du cinéaste à son adaptation (plutôt réussie d'ailleurs) de La vie de Marianne et l'on sourira même lorsqu'un personnage évoquera les prisonniers libérés de la Bastille dont « un débauché enfermé sur la demande de sa famille » (on aura reconnu le marquis de Sade dont Jacquot fit un film avec Daniel Auteuil).

Mais ces effets gratuits, ces renvois savants ne compensent jamais un récit anémique et jamais incarné malgré le charme indéniable des trois comédiennes principales (la ravissante Léa Seydoux, la diaphane Diane Kruger et la toujours excellente Virginie Ledoyen). On jettera en revanche un voile pudique sur la pathétique prestation d'un Xavier Beauvois de plus en plus gras dans le rôle de Louis XVI...

 

Qu'un tel bibelot décoratif puisse être réalisé aujourd'hui, ça n'a finalement pas beaucoup d'importance et, après tout, entre les téléfilms à gros budget et les nanars antédiluviens de la « qualité française », ce genre d'œuvre a toujours existé. Mais ce qui est plus surprenant, c'est l'unanimité de l'accueil critique qui laisse songeur. Une critique (exceptons néanmoins les Cahiers du cinéma, lucides cette fois alors qu'ils ont souvent soutenu le cinéaste) qui se revendique pourtant de l'héritage de la « nouvelle vague » et de Serge Daney ! (après tout, que Positif se rallie au cinéma de Jacquot quand il est le plus académique et poussiéreux, ça n'est pas vraiment étonnant!)

Outre l'effet de signature dont je parlais plus haut (Jacquot a « la carte » comme dirait l'autre), je me demande s'il ne faut pas voir là une approche purement « scolaire » et formatée des films. C'est moins le style et la mise en scène que cherche à mettre en valeur la critique que les intentions, les thèmes du cinéaste. C'est d'autant plus flagrant ici que Jacquot souligne largement ses intentions (voir d'ailleurs son entretien fort révélateur dans Télérama) et qu'il offre une manne au « politiquement correct » de l'époque en suggérant l'homosexualité de la reine ou son côté « idole médiatique ». Il ne s'agit plus des transpositions littéraires opérées jadis par Jeanson et Bost et dénoncées par Truffaut mais bel et bien de transpositions de « faits de société », de « données sociologiques » à une époque ancienne. Mais au bout du compte, ça n'a pas plus d'intérêt que les considérations racoleuses d'une Maïwenn dans Polisse.

 

Autrefois, la critique s'employait à découvrir le style chez des cinéastes œuvrant dans le cinéma de genre (ce que comprit d'ailleurs Truffaut qui, contrairement à ce que certains veulent bien dire, n'a jamais sombré dans ce type d'académisme). Désormais, elle se contente de recenser des « thèmes » et d'inventorier ce que ce cinéma sans chair a de tristement moderne...

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