Notre ami Vincent a lancé il y a peu l’idée d’un « blogathon » Godard/ Corbucci permettant de rendre un hommage croisé aux deux cinéastes (l’un vient d’avoir 80 ans tandis que l’autre s’est éteint il y a tout juste 20 ans). Pour ma part, j’avoue bien humblement mon incompétence pour parler de Corbucci dont je n’ai vu que trois films (l’excellent Le grand silence, le moins intéressant Navajo Joe et le carrément nanardeux Le spécialiste avec Johnny Hallyday !). Pour Godard, c’est autre chose. Mais plutôt que de répondre directement au questionnaire concocté par notre estimable voisin, je vous propose un petit parcours à la manière du Je me souviens de Perec.

 

Je me souviens des « carrés blancs » (interdit au moins de 18 ans) accolés dans Pariscope aux films  Masculin féminin et Sauve qui peut (la vie). C’est sans doute la première fois que j’ai eu envie de voir un Godard.

 

Je me souviens (je n’étais pourtant pas bien vieux) du scandale provoqué par Je vous salue Marie.

 

Je me souviens avoir d’abord découvert Godard par un livre : l’essai que lui a consacré Jean-Luc Douin chez Rivages en 1989 et que j’ai lu et relu.

 

Je me souviens de mon premier Godard : Soigne ta droite en VHS, loué au vidéo-club du Mammouth de Fontaine-lès-Dijon. Je me rappelle n’y avoir rien compris !

 

Je me souviens que ma deuxième expérience avec un film de Godard ne fut guère plus concluante : il s’agissait d’Allemagne 90 – neuf zéro, vu à la télévision.

 

Je me souviens du choc Pierrot le fou.

 


 

 

Je me souviens avoir vu Pierrot le fou au cinéma Devosge, A bout de souffle et Le mépris au Gaumont, Hélas pour moi, For ever Mozart, King Lear, Notre musique et Film socialisme à l’Eldorado (trois cinémas dijonnais, dois-je le préciser,). En revanche, j’ai vu JLG/JLG dans une salle parisienne et je me rappelle m’être perdu à la sortie.

 

Je me souviens de la coupe à la Louise Brooks d’Anna Karina dans Vivre sa vie, du visage d’Anna Karina, de la nuque de Jean Seberg, des épaules de Mireille Darc, des seins de Maruschka Detmers, du ventre de Myriem Roussel, des fesses de Brigitte Bardot.

 

Je me souviens avoir découvert Marc-Edouard Nabe et apprécié encore plus Noël Godin grâce au numéro de CinémAction spécial Godard.

 

Je me souviens d’un oncle cinéphile détestant Godard et lui reprochant ses films « d’intellectuel fatigué ».

 

Je me souviens de la leçon de français de Belmondo dans A bout de souffle et, depuis, je ne peux plus supporter d’entendre quelqu’un dire « je m’en rappelle » (je me le rappelle ou je m’en souviens, d’accord !)

 

Je me souviens que Martin Scorsese a repris la musique de Georges Delerue au début de Casino.

 

Je me souviens parfaitement de deux répliques de Nouvelle vague : « vous avez déjà été piqué par une abeille morte ? » et cette réponse majestueuse de Delon répondant à un « qu’est-ce que vous faites ? » hors champ : « Je fais pitié ! »

 

Je me souviens d’une ligne de chance devenant une ligne de hanche.

 

Je me souviens avoir vu un court-métrage d’Hal Hartley très influencé par Godard mais je ne me souviens plus de son titre.

 

Je me souviens du bleu de la mer de Capri ou de celui qui recouvre le visage de Ferdinand/ Pierrot ; du jaune de la serviette de BB, de l’écharpe de Mireille Darc et de la robe d’Anna Karina dans Made in USA. Enfin du rouge (« pas du sang, du rouge ») de l’Alfa Roméo du Mépris, des petits livres de La chinoise et de la dynamite de Pierrot le fou.

 

Je me souviens de Laszlo Szabo, de Roland Amstutz, de Juliet Berto, de Myriem Roussel, de Jean-Christophe Bouvet.

 

Je me souviens de Godard chez Pivot. A la question « quel personnage célèbre pour illustrer un billet de banque », le cinéaste avait répondu Adolf Hitler.

 

Je me souviens de Jean-Pierre Melville, de Fritz Lang, de Samuel Fuller, de Woody Allen et de Jean-Pierre Mocky chez JLG.

 

Je me souviens du travelling de Week-end.

 

Je me souviens des accents de Jean Seberg, d’Anna Karina et Domiziana Giordano

 

Je me souviens de la visite express du Louvre dans Bande à part, des cartes postales des Carabiniers et de l’un des deux héros « traversant » l’écran dans le même film.

 

Je me souviens qu’il ne faut pas dire « infâme » mais « une femme ».

 

Je me souviens de Jean-Pierre Kalfon déclamant du Lautréamont au rythme de sa batterie dans Week-end.

 

Je me souviens avoir préféré JLG/JLG lorsque je l’ai revu à la télévision.

 

Je me souviens de la voix d’outre-tombe de Godard dans ses Histoire(s) du cinéma.

 

Je me souviens avoir découvert Les enfants jouent à la Russie grâce à la Télévision Suisse Romande.

 

Je me souviens de la dernière phrase de Film socialisme : « Quand la loi n’est pas juste, la justice passe avant la loi ».

 

Je me souviens des mélodies déchirantes de Duhamel et Delerue ainsi que des morceaux de Bach dans Je vous salue Marie.

 


 

 

Je me souviens qu’un ami m’avait enregistré Prénom Carmen sur Canal +. Je me demande si il ne manquait pas le début. En revanche, je suis sûr que certains passages n’étaient pas décodés.

 

Je me souviens que Godard eut le projet de faire un film sur Mesrine avec Belmondo. Nous dirons que c’est peut-être aujourd’hui notre plus gros regret le concernant.

 

Je me souviens des Rita Mitsouko et des Rolling Stones.

 

Je me souviens de ce moment sublime où Marianne et Ferdinand quitte « ce monde pourri et dégueulasse ».

 

Je me souviens avoir découpé un article d’Eric Neuhoff (sic !) paru dans Madame Figaro (re sic !) sur Le mépris. C’est sans doute le plus beau texte que cet imbécile ait jamais écrit.

 

Je me souviens avoir été choqué en découvrant qu’Alain Paucard préférait le remake d’À bout de souffle (signé Jim McBride) au film original.

 

Je me souviens du Cinématon de Godard.

 

Je me souviens de Christian Clavier paradant dans les médias en prétendant que le seul talent de Godard avait été de faire débuter Jean-Paul Belmondo. Qui se souviendra dans 10 ans de Christian… Christian comment ?

 

Je me souviens avoir écrit un jour à JLG mais, bien heureusement, je ne me souviens absolument plus de la teneur de cette ridicule lettre d’adolescent.

 

Je me souviens vaguement de retrouvailles chez Ardisson entre Godard et Karina.

 

Je me souviens que ma dernière confrontation à Godard fut la projection de Compression du Mépris de Gérard Courant au festival de Nice.

 

Je me souviens d’Elisa Point chantant « Qu’est-ce que c’est dégueulasse ? »

 

Je me souviens de la voix fluette de Chantal Goya dans Masculin féminin.

 

Je me souviens des larmes de Nana/ Anna Karina lorsqu’elle découvre Falconetti chez Dreyer dans Vivre sa vie.

 

 

Je ne me souviens plus du tout de Puissance de la parole que j’ai vu alors que j’ai l’impression de connaître par cœur Une femme mariée que je n’ai jamais vu.

 

Je ne me souvenais plus des termes exacts de cette citation mais sa teneur m’est toujours restée en mémoire. Je viens de la retrouver dans le livre de Jean-Luc Douin, Jean-Luc Godard, dictionnaire des passions (chroniqué ici) et elle me semble être idéale pour conclure ce petit panorama et définir le cinéaste :

 

« Il y a la règle, et il y a l’exception. Il y a la culture qui est la règle, il y a l’exception qui est de l’art. Tous disent la règle, cigarette, ordinateur, tee-shirt, télévision, tourisme, guerre. Personne ne dit l’exception, cela ne se dit pas, cela s’écrit (Flaubert, Dostoïevski), cela se compose (Gershwin, Mozart), cela se peint (Cézanne, Vermeer), cela s’enregistre (Antonioni, Vigo). Ou cela se vit, et c’est alors l’art de vivre ; Srebrenica, Mostar, Sarajevo. Il est de la règle de vouloir la mort de l’exception. Il sera donc la règle de l’Europe de la Culture d’organiser la mort de l’art de vivre qui fleurit encore. »

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