In another country (2012) de Hong Sang-Soo avec Isabelle Huppert

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Rien en ressemble plus, a priori, à un film d'Hong Sang-Soo qu'un autre film d'Hong Sang-Soo. Pourtant, si In another country semble s'installer d'emblée dans le confort de cette familiarité, cette nouvelle variation autour du cinéma et des élans du cœur vise (comme très souvent chez ce cinéaste) dans le mille.

Si la critique de cinéma se limitait à un bilan comptable, nous dirions volontiers que le « cahier des charges » de cet auteur est bien tenu : récits en miroir(s), fragmentation de la narration en micro-segments (à la manière d'Oki's movie), burlesque minimaliste, scènes de beuverie où les personnages abusent du soju...

Deux éléments viennent pourtant perturber cependant cet imparable programme. Primo, le héros du film n'est plus l'un de ces hommes velléitaires dont Hong Sang-Soo s'est plu à dresser les portraits (songeons aux très beaux Les femmes de mes amis ou Night and day) mais une femme. Secundo, il se trouve que cette femme est une française (cela faisait très longtemps qu'Isabelle Huppert n'avait pas été aussi bonne, débarrassée de cette affectation qui caractérise certains de ses rôles récents) qui débarque dans un coin perdu de Corée. Du coup, ce personnage provoque immédiatement un sentiment d'étrangeté. Étrangeté redoublée par le fait qu'Isabelle Huppert incarne trois femmes qui n'en sont finalement qu'une : une cinéaste reconnue, l'épouse d'un riche homme d'affaires attendant son amant coréen et une femme divorcée parce que son mari est parti avec une jeune coréenne...

 

Ces trois aventures pourraient être séparées, comme dans Smoking/No smoking d'Alain Resnais, par un « ou bien ». Chaque fois, la situation de départ est la même : la femme débarque dans une station balnéaire et rencontre, peu ou prou, les mêmes personnages : un homme et sa femme enceinte, une jeune employée admirative et un inénarrable maître-nageur.

A partir de ce schéma narratif répété trois fois, Hong Sang-Soo élabore une structure en miroir très complexe avec des jeux de rimes et de correspondances tout à fait passionnants. Parfois, les histoires semblent se « chevaucher » et c'est ainsi qu'un parapluie caché dans le deuxième mouvement sera retrouvé dans le troisième tandis qu'une mémorable scène de cuite sur la plage dans cette dernière partie explique en partie pourquoi le maître-nageur manque de se couper avec une bouteille de soju dans la première. En d'autres occasions, les images sont trompeuses et ne sont que le fruit des songes du personnage qui s'est assoupi. Mais comme ces transitions entre « rêve » et « réalité » ne sont pas marquées par de gros effets, tout le récit est alors frappé du sceau de l'incertitude et se laisse envahir par cette « étrange familiarité ».

In another country procure un effet qui pourrait se rapprocher du jet-lag, une sorte de rêverie éveillée provoquée par le décalage horaire, la fatigue et le dépaysement.

 

Mais c'est avant tout un film sur le cinéma (depuis Conte de cinéma, c'est le sujet privilégié de Hong Sang-Soo) et sur la fiction. C'est amusant de le découvrir peu après Dans la maison de Ozon parce qu'il y a une certaine similitude, sur le papier, entre ces deux films : une construction narrative complexe oscillant entre l'illusion de la fiction (c'est une jeune femme qui prend ici en charge la narration en écrivant ces trois récits et en fantasmant les personnages) et la « réalité ». Mais alors que le dispositif d'Ozon est toujours lourdement surligné et qu'il surplombe des personnages caricaturés, Hong Sang-Soo parvient à toujours rester léger. Pour le coup, sa caméra qui est pourtant parfaitement « visible » (avec, notamment, ces zooms proverbiaux qui fixent une fois pour tout une instance énonciative autre que celle du traditionnel « narrateur ») n'est jamais surplombante et se contente de filmer des petits riens avec beaucoup de fantaisie (l'imitation de la chèvre par Isabelle Huppert est désormais mythique).

Derrière ces « petits riens », le cinéaste laisse libre cours à un burlesque minimaliste très plaisant (les jeux sur l'incompréhension due à la langue, la manière qu'a notre française de « sautiller » plutôt que de marcher...) tout en laissant affleurer, ça et là, une véritable émotion (la dernière partie, empreinte d'une certaine gravité).

Jamais Hong Sang-Soo ne veut nous livrer de grands discours sur la vie, la solitude, l'amour et le cinéma. Et pourtant, ce sont ces thèmes que brasse In another country.

De la même manière, si certains plans sont sublimes (Isabelle Huppert qui fait face à la mer – et nous tourne donc le dos- tandis que passe en nageant le maître-nageur); jamais le cinéaste ne cède à la tentation du « monumental » et de l'image sur-signifiante. Là encore, il faut parler de légèreté dans la mise en scène alors qu'elle est d'une précision et d'une subtilité absolues (outre les jeux de rimes et de correspondances, on pourrait analyser longuement l'élaboration des plans autour des regards des personnages, du hors-champ toujours habité et des infimes échos qui se répercutent d'une séquence à une autre).

 

Avec une grâce infinie, à mille lieues des tics d'un certain « cinéma d'auteur » standardisé et de ses leçons assénées à grands coups de plans-séquences appuyés; Hong Sang-Soo nous propose une rêverie joyeuse et mélancolique autour du cinéma, de la fiction, de l'illusion et du rêve; toutes ces choses qui constituent l'étoffe même de nos vies...

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