Joseph M. par Gérard C.
Le journal de Joseph M. (1999) de Gérard Courant avec Joseph Morder, Françoise Michaud, Luc Moullet, Dominique Noguez, Noël Godin, Marcel Hanoun…
Habitués que nous sommes aux films « dispositifs » de Courant, Le journal de Joseph M. apparaît comme l’une de ses œuvres les plus « classiques ». Il s’agit d’un documentaire tourné pour Canal + où l’auteur de Cinématon entreprend de faire le portrait de Joseph Morder, pionnier du journal filmé en France (en 1999, ce journal qu’il tient depuis 1967 faisait 50 heures) et cinéaste astucieux qui interroge toujours avec beaucoup de talent les liens ambigus entre la fiction et l’autobiographie.
Prenons un exemple : alors qu’il intègre beaucoup d’éléments autobiographiques et qu’il est tourné en Super 8, un film comme l’arbre mort est un véritable mélodrame hollywoodien où l’auteur rend un hommage évident à son maître Douglas Sirk.
Courant suit ici Morder qui évoque son travail en compagnie du critique Alain Riou, de l’écrivain Dominique Noguez et du grand Luc Moullet (qu’on ne présente plus !). Il entreprend également un périple belge où il retrouve Mara Pigeon « la naufrageuse de docucus » [Noël Godin], Boris Lehman, une sorte d’alter ego belge de Morder, l’excellent cinéaste anarcho-surréaliste Roland Lethem (Vincent ne me contredira pas si j’écris ici que La fée sanguinaire est un véritable petit chef-d’œuvre) et, bien entendu, notre entarteur préféré qui accompagne Morder dans une jungle épaisse qui n’est rien d’autre que son jardin (sauf erreur, il me semble que Jean-Jacques Rousseau a également tourné un film dans le jardin de Noël Godin).
Enfin, Joseph Morder rend une visite à Marcel Hanoun (autre cinéaste dont je rêve de découvrir l’œuvre désormais invisible : je sais que certains sont diffusés sur le net mais pas en « plein écran »). Les deux hommes évoquent quelques souvenirs puis interrogent de manière assez ludique ce qu’est le cinéma et le film qu’ils sont en train de tourner.
C’est ici, à mon sens, que se dessine le projet de Courant : réaliser un « portrait » d’un cinéaste qu’il connaît depuis de longues années et brouiller les pistes, tirer son film vers la fiction et trouver une forme cinématographique en adéquation avec les paroles de Morder qui déclare ici « ma vérité, c’est la fiction ».
Le journal de Joseph M. sera donc un objet composite : extraits du journal filmé de Morder en super 8 (qui donne d’ailleurs envie de découvrir d’autres films de l’auteur de Nuages américains) ; entretiens menés plutôt sérieusement (lorsque le cinéaste discute avec Riou ou présente l’une de ses œuvres à la Cinémathèque en compagnie de Dominique Païni qui remarque malicieusement que ses initiales sont les mêmes que celles de Jonas Mekas) et des saynètes « fictives » où éclate la fantaisie de Morder.
A sa muse, la sublime Françoise Michaud, il déclare soudainement vouloir un enfant d’elle, quitte à abandonner son journal pendant quelques années (en quelques secondes, Morder parvient à remettre sur le tapis la thématique de Romamor et du « danger » qu’il y a de filmer les choses plutôt que de les vivre). Avec Moullet et Godin, il fait le pitre et c’est souvent très drôle (il faut voir la première scène du film où Moullet et Morder sont à quatre pattes dans un jardin public et aboient comme des chiens tandis que des sous-titres traduisent leur « conversation » : portraits des artistes en jeunes chiens ?)
Comme les cinq Cinématons consacrés au cinéaste le prouvent : Morder est un excellent comédien (le quatrième a sans doute été tourné pendant le tournage du Journal de Joseph M. puisqu’on le voit, en contre-plongée devant un cinéma rendant hommage à Sirk, faire un numéro de comédien expressionniste assez extraordinaire : on se croirait presque chez Eisenstein ! Dans le troisième des Cinématons que Courant lui a consacré, Morder imite à la perfection le jeu de certains comédiens burlesques et ses mimiques m’ont beaucoup fait penser à Harold Lloyd).
Du coup, dans le portrait que lui consacre Courant, il se dévoile un peu mais joue également beaucoup.
Au point qu’on finit par se demander si, comme dans ses propres films, ce n’est pas le jeu qui est finalement la vérité ultime de Joseph Morder…