L'apocalypse selon Lars
Melancholia (2011) de Lars Von Trier avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, John Hurt, Kiefer Sutherland, Charlotte Rampling, Udo Kier
Décidément, les films « métaphysiques » furent à l'honneur cette année à Cannes puisqu'après la palme d'or décernée à Terence Malick pour Tree of life, c'est au tour de Melancholia, le dernier opus du provocateur Lars Von Trier, de faire la une des gazettes. Les deux films ont en commun de coupler avec une certaine habileté des histoires purement domestiques (comme chez Malick, il est beaucoup question ici de liens familiaux douloureux) à une réflexion beaucoup plus cosmique sur le devenir de l'univers et de l'espèce humaine. Par chance, Lars Von Trier nous épargne les longues plages contemplatives et « new-age » que je persiste à trouver fumeuses chez Malick. Il se contente d'un prologue formaliste assez époustouflant qui montre rien de moins que la fin du monde. Le cinéaste opte pour des visions d'apocalypse au ralenti et pour une succession d'images symboliques (la mère et l'enfant qui s'enfoncent dans les herbes d'un green, des oiseaux morts qui semblent tomber tous en même temps des cieux...) et d'hommages picturaux (un plan de Kirsten Dunst flottant sur l'eau en robe de mariée rappelle La mort d'Ophélie) accompagnés par la musique de Wagner (Tristan et Iseult).
Passé ce fascinant prologue, on se retrouve face à une œuvre beaucoup plus « classique », axée autour de deux figures féminines : Justine (Kirsten Dunst) et sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg).
La première partie du film est centrée autour de la personnalité de Justine et se déroule entièrement lors de la soirée de mariage de la jeune femme. Lars Von Trier renoue immédiatement avec les principes du « Dogme » érigé par ses soins il y a maintenant une quinzaine d'années. La mise en scène privilégie le rendu brut de décoffrage de la caméra à l'épaule, des recadrages maladroits au zoom et d'incessants faux-raccords. Ce style, inauguré avec Breaking the waves, possédait une véritable fraîcheur et permettait au cinéaste d'accoucher de moments d'émotion d'une rare intensité. Dans Melancholia, la recette paraît un peu éventée et séduit moins. Peut-être parce qu'il ne joue pas la carte du mélodrame mais celle du psychodrame familial caustique lorsque cette cérémonie de mariage tourne au règlement de compte aigre. On pense alors à Festen, autre film « Dogme » réalisé par Vinterberg.
Pour ma part, j'ai plutôt bien aimé cette partie. La menace de la planète Melancholia est à peine effleurée (j'ai oublié de vous préciser, mais qui l'ignore encore, que la fin du monde a été provoquée par la collision de cette planète avec la terre) et le personnage de Justine reste nimbé d'un certain mystère, d'une espèce de flou la tenant éloignée du spectateur. Alors qu'elle devrait vivre le plus beau jour de sa vie, elle semble constamment sous l'emprise d'une profonde mélancolie. Avec son visage angélique, Kirsten Dunst parvient parfaitement à traduire ce sentiment de profond décalage avec le monde et son spleen s'avère aussi touchant que mystérieux (on en ignore totalement les raisons).
Puis vient la deuxième partie de l’œuvre axée autour du personnage de Claire, la sœur dévouée, et l'on attend, en quelque sorte, que Lars Von Trier épaississe et explicite les rapports entre ces deux personnages et la nature de leurs liens. Sauf qu'au lieu de prendre ce sentier, il préfère mettre de côté une Justine désormais prostrée et hagarde (le personnage est un peu « mis de côté ») pour s'intéresser à l'aspect « science-fiction » du film. Du coup, il tente d'instaurer un suspense qui n'en est pas un (puisqu'on a vu le prologue, on sait que la terre va exploser) et passe (me semble-t-il) un peu à côté de son sujet. Les personnages perdent un peu de cette épaisseur qu'on avait imaginée et le film à tendance à se dégonfler comme un soufflé pas assez cuit.
Le résultat est loin d'être désagréable et nous réserve même quelques très beaux moments (certains gros plans du visage de Justine sont tout simplement sublimes) mais on se prend à dire que l'aspect science-fiction n'est pas ce qui sied le mieux à Lars Von Trier. D'où sa manière de s'en désintéresser dans la première partie puis de s'y raccrocher de manière un peu artificielle ensuite.
Ce que j'aime néanmoins dans Melancholia, et peut-être d'une manière assez paradoxale, c'est la sincérité du cinéaste. Beaucoup n'ont pas pardonné à Lars Von Trier ses provocations et ses déclarations tonitruantes (même s'ils ne se ridiculisent pas à les citer). Or je trouve que ce cinéaste, qu'on pourrait considérer comme la quintessence de la roublardise, a toujours su faire preuve d'une véritable naïveté et sincérité dans ses expériences cinématographiques. C'est encore le cas dans Melancholia, même si j'avoue préférer le cinéaste lorsqu'il s'aventure sur les chemins du mélodrame (Breaking the waves) à ceux d'une science-fiction nihiliste pas totalement convaincante...