L'expérience de la mort
Au-delà (2010) de Clint Eastwood avec Cécile de France, Matt Damon
Cela fait près de dix ans que la rupture entre Clint et moi est consommée. Depuis Million dollar baby, son dernier film qui m'a beaucoup plu, j'ai dû subir l'abominable L'échange et le médiocre Gran Torino. Du coup, j'ai jeté l'éponge et je ne suis pas allé voir ses trois dernières œuvres à ce jour.
La diffusion télévisuelle d'Au-delà, son pénultième film, m'a permis de me remettre à jour mais sans grand enthousiasme.
Le film débute comme un film de Spielberg1 : une séquence très laide de tsunami où la peur se lit d'abord sur le visage ébahi des personnages qui vont se faire submerger. Marie (Cécile de France) est une journaliste qui passe à deux doigts de la mort et fait cette fameuse expérience des derniers moments : une grande clarté au bout du tunnel, les ombres des défunts...
Avec Au-delà, Eastwood s'aventure sur les voies du surnaturel en mettant en scène trois récits parallèles : un segment français avec cette journaliste qui recherche désormais des témoignages de ces hommes revenus à la vie in-extremis ; un segment américain avec Matt Damon dans le rôle d'un médium accablé par ses dons qu'il voudrait oublier (il peut communiquer avec les morts) et un segment anglais centré sur un jeune garçon inconsolable après la mort de son frère jumeau.
Ce qui frappe immédiatement, c'est la balourdise de la construction du film : trois trajectoires qui finiront, bien entendu, par se croiser de manière totalement artificielle.
S'il y avait un sujet intéressant pour Eastwood dans ce scénario, c'était bien la question du deuil et du « dialogue avec les morts » qui n'a cessé de hanter son cinéma. Mais cette fois, le réalisateur ne dialogue plus avec les spectres du cinéma, avec John Ford, Sergio Leone ou Don Siegel mais avec une mystique cucul qu'on croirait tirée des romans à succès de Marc Levy ou Guillaume Musso.
A ce titre, la rencontre finale entre Damon et Cécile de France est d'une niaiserie dégoulinante.
Eastwood chausse ici les gros sabots du mélodrame qui tache (le spectre douloureux de L'échange s'avance parfois) et il ne fait pas dans la dentelle. A ce titre, la partie anglaise est sans doute la plus ratée. Dans la mesure où le médium Damon est un admirateur éperdu de Charles Dickens, le cinéaste nous inflige un mauvais mélo misérabiliste : mère droguée et alcoolique totalement irresponsable, des jumeaux débrouillards et aimants que le destin va séparer (le jour où la mère décide de se désintoxiquer!)... Eastwood va user de toutes les ficelles les plus grossières (mort d'enfant, séparation avec la mère par les services sociaux, etc.) pour tirer des larmes de crocodile aux spectateurs.
La partie française est, elle aussi, particulièrement ratée avec cette caricature de journaliste pressée qui, soudainement, retrouve le vrai « sens de la vie » et regarde d'un autre œil l'inanité de son milieu où une speakerine en remplace une autre.
La partie américaine est un peu moins ratée même si les visions « surnaturelles » ne me semblent pas avoir beaucoup d'intérêt. Il y avait pourtant un beau sujet à la Dead Zone dans cette manière qu'a le don de Damon de l'éloigner de ses semblables, de faire peser une sorte de malédiction sur lui. Mais comme dans les autres parties du film, Eastwood a toujours tendance à épaissir le trait. Quand le médium rencontre une jeune femme dans un cours de cuisine (les scènes de séduction pendant ce cours ne sont pas mal), il faut que l'histoire avorte et qu'il découvre les pires horreurs sur le passé de cette pauvre fille (vous reprendrez bien quelques larmes?).
De temps en temps, on se dit que Clint Eastwood n'a pas totalement perdu la main : la photo (sombre, forcément sombre) n'est pas laide et il y a un certain plaisir du récit que l'on ressent parfois. Mais globalement, Au-delà est un gros pudding mièvre qui joue essentiellement sur une sensiblerie mièvre et des effets tire-larmes bien trop soulignés pour pouvoir émouvoir réellement.
Si Eastwood se décide un jour à abandonner ses ficelles manipulatrices, peut-être que nous arriverons à nous réconcilier.
Honnêtement, je l'espère...
1 J'ai réalisé ensuite que l'auteur des Dents de la mer était le producteur de ce film. Ce qui peut aussi expliquer son côté cucul...