La piel que habito (2011) de Pedro Almodovar avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes

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Je rassure mes aimables lecteurs qui ne me suivent ni sur Facebook, ni sur Twitter : si ce blog n'a pas été alimenté depuis fort longtemps, c'est uniquement en raison d'un été très chargé (séjour en Corée puis dans le Berry). Mais son arrogant tenancier n'est pas encore décidé à mettre la clé sous la porte et vous infligera donc encore pour un certain temps des exemples de sa prose malhabile.

Le problème, c'est que la rentrée cinématographique est déjà bien avancée et qu'il va sans doute être assez difficile de recoller au train de l'actualité (me connaissant, vous devez vous douter à quel point il est déchirant pour moi de me passer des Bien-aimés de Christophe Honoré!). Entre Lars von Trier, Téchiné, Donzelli et Herzog, j'ai choisi de commencer par le dernier Almodovar.

C'est assez cruel à dire mais je dois avouer que même lorsque je les ai aimés (je pense à Volver, par exemple), je n'arrive plus aujourd'hui à me souvenir des films d'un cinéaste qui ne m'a jamais plus totalement emballé depuis son chef-d’œuvre Parle avec elle.

Après le décevant et un poil convenu Étreintes brisées, le réalisateur revient à un univers plus noir et plus vénéneux, rappelant d'ailleurs parfois (le côté provocateur potache en moins) ses œuvres de jeunesse.

 

Adapté du roman Mygale de Thierry Jonquet, La piel que habito commence comme un film d'horreur puisque qu'à l'instar du classique de Georges Franju Les yeux sans visage (ou bien de l'horrible docteur Orlof de Jess Franco), Antonio Banderas incarne un chirurgien « fou » se livrant à des expériences sur une peau transgénique. Dans un premier temps, nous le voyons se livrer à des greffes mystérieuses sur une jeune femme, vêtue d'un juste-au-corps couleur chair, qu'il séquestre dans une vaste demeure où il a établi son laboratoire. Seule une inquiétante gouvernante (interprétée par la fidèle Marisa Paredes) semble au courant de l'existence de ce « cobaye » suicidaire...

Avec son élégance coutumière, Almodovar cherche dans un premier temps à poser une atmosphère mystérieuse et un poil morbide. De cette jeune fille, on ne saura rien si ce n'est qu'elle ressemble à la femme défunte de Banderas. Le film semble se frayer un chemin dans le sillage du Vertigo d'Hitchcock : l'histoire d'un homme obnubilé par un souvenir et qui cherche à « recréer » l'être aimé et disparu. D'une certaine manière, ce chirurgien n'est pas si éloigné que ça du cinéaste aveugle d’Étreintes brisées : il est une espèce de metteur en scène désireux de modeler à sa guise sa créature. Ce n'est pas un hasard si Vera, la jeune femme, est souvent observée derrière un écran. Elle n'est qu'une « image », la (re)création d'un esprit perturbé.

 

Après une première partie linéaire où le cinéaste distille avec parcimonie les indices, il déjoue l'attente du spectateur en proposant un long flash-back lui permettant d'embrayer sur de nouvelles pistes narratives et d'épaissir son récit avec de nouveaux personnages et de nouveaux enjeux dramaturgiques.

Peu à peu, La piel que habito renoue avec les thèmes favoris du cinéastes mais sur un mode beaucoup plus noir qu'à l'accoutumée. Chez Almodovar, les personnages ne connaissent qu'une loi : celle du désir. Or jusqu'à présent, la force de ce désir leur permettait en quelque sorte de retrouver une sorte « d'innocence », à l'instar de cette histoire d'amour totalement déviante que contait Attache-moi (auquel on pense souvent puisqu'il est encore question d'une jeune femme tombant amoureuse de l'homme qui la séquestre) ou de la passion quasi-nécrophile au cœur de Parle avec elle.

Ici, le désir ne « rachète » plus les personnages et ne les mène qu'à des impasses. De la même manière, tout ce qui a trait à la filiation (Cf. Talons aiguilles, Tout sur ma mère, Volver...) est envisagé ici de manière névrotique (la gouvernante affirme que ses entrailles n'ont fabriqué que de la folie) et le joyeux hédonisme qui s'affirmait avec panache dans les œuvres de jeunesse d'Almodovar fait place à une réflexion beaucoup plus sombre sur l'identité sexuelle et les impasses de l'amour.

Dans La Piel que habito, les rapports entre les êtres humains se réduisent à des rapports de force (viols, séquestration...). Et le sentiment amoureux n’apparaît que comme une manière de s'approprier l'autre, d'en faire son objet. Paradoxalement, la folie du chirurgien ne va pas se loger dans les expériences interdites auxquelles il se livre mais dans sa manière de faire d'une image, d'un fantôme une obsession, une idée fixe.

Aveuglé par son désir morbide, il nie tout bonnement l'existence de l'Autre qui finira pourtant par se libérer de son emprise. On peut alors y voir l'aveu un brin désabusé d'un créateur qui réalise que les personnages qu'il met en scène finissent toujours par se dérober et que tout ce qui relève d'un certain idéal (le Beau, l'Amour, le Désir...) n'est qu'illusion...

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