Mourir ? Plutôt crever ! (2010) de Stéphane Mercurio avec Siné, Catherine Sinet, Guy Bedos, Benoît Delépine, Delfeil de Ton, Serge Quadruppani, Jean-Pierre Bouyxou.

  pasmal.jpg

Oublions tout de suite la forme un peu boiteuse de ce documentaire tourné à l’arrache et sans réel soin : Stéphane Mercurio navigue dans des lieux exigus (la maison de Siné reconvertie en salle de rédaction, les coulisses d’un tribunal…), se soucie comme d’une guigne de trouver un beau cadre et ne cherche même pas à éviter son reflet qu’on aperçoit dans les sous-verre derrière le dessinateur.

Pourtant, ce côté bricolé ne nuit jamais au film. Au contraire, il lui donne même parfois une sensation d’urgence et d’exaltation assez grisante. Je m’explique. Au départ, la réalisatrice décide de consacrer à son beau-père (Siné vit avec Catherine, sa mère, depuis 1968) le film qu’il mérite : son parcours de dessinateur contestataire, ses amitiés, ses multiples engagements politiques…

Elle tourne quelques séquences comme celle assez surréaliste du début où Siné, en compagnie de Delépine, décide d’acheter une concession au cimetière de Montmartre assez grande pour être enterré avec tous ses potes. Mais voilà que l’actualité prend de vitesse le tournage du film : la sinistre crapule Val, balai-brosse de tous les pouvoirs en place, licencie le grand dessinateur pour « antisémitisme ». L’affaire a été suffisamment commentée ici et là pour qu’on y revienne : contentons-nous de dire qu’il y a dans le film un témoignage extrêmement beau, celui de Marc Held (dont la famille a été décimée dans les camps de concentration), qui suffit amplement à remettre les points sur les i et qui renvoient aux poubelles de l’Histoire l’abject président de la LICRA (dont les propos sont parfaitement émétiques) et cet imbécile de BHL qui n’aurait pourtant pas volé une nouvelle tarte à la crème dans la figure !  

Cette « actualité » Siné (le procès, le lancement de Siné Hebdo…) dynamise l’autre partie du film plus précisément axé sur le portrait de l’homme. J’avoue que c’est l’aspect que je préfère du document. D’abord parce que c’est un régal d’entendre Siné parler de son père ou évoquer une anecdote tordante des démêlées qu’il put avoir avec de hauts dignitaires maoïstes en Chine dans les années 60. D’autre part parce que cet homme a eu un parcours exceptionnel et a rencontré énormément de personnalités hors du commun. Stéphane Mercurio revient sur ce destin : les dessins censurés à L’Express, l’engagement aux côtés du FLN, les multiples procès que lui fit le régime gaulliste lorsqu’il lança Siné Massacre puis L’enragé, son amitié avec Prévert et Malcom X (l’évocation de ces deux personnalités sont des grands moments du film), sa rencontre avec Castro, Mai 68, etc.

De ce point de vue, le film est presque frustrant tant on aurait aimé entendre Siné des heures et des heures mais il permet déjà de cerner un peu mieux la personnalité de cet éternel contestataire, sans doute borné par moment mais toujours sincère et surtout très généreux et tendre.

L’image de l’anar râlant perpétuellement et ressassant toujours les mêmes haines viscérales (l’armée, l’église, le pouvoir, la police…) est un peu battue en brèche par le film qui nous montre également le visage d’un homme doux, fidèle en amitié et en amour et toujours prêt à se battre pour aider son prochain.

Par ailleurs, Mourir ? Plutôt crever ! est agrémenté de documents savoureux, que ce soit cette complainte hilarante chantée par Jean Yanne (contre « l’affreux Siné ») ou encore l’extrait de Ahahahahah !, le court-métrage d’animation pornographique réalisé par le dessinateur et produit par Alberto Ferro (dont nous rêvons de voir Sensations) aka Lasse Braun et dont Jean-Pierre Bouyxou écrit : « Siné se déchaîne avec une inventivité graphique digne à la fois d’Emile Cohl et de Norman McLaren. […] Ahahahahah ! est aux cartoons de Walt Disney ce que le Sonnet du trou du cul est aux poésies de Sully Prudhomme. »

Après le documentaire de Pierre Carles sur Choron, Mourir ? Plutôt crever ! est un autre portrait passionnant d’un grand bonhomme du dessin satirique, toujours plein de vitalité et de saines colères à qui l’on souhaite une très, très longue vie…

Retour à l'accueil