La dernière séance
La rivière sanglante (1954) de Nathan Juran avec Audie Murphy
Quand siffle la dernière balle (1971) de Henry Hathaway avec Gregory Peck
(Editions Sidonis.) Sortie en DVD le 30 septembre 2013
Un des plaisirs que procurent immédiatement les DVD édités par Sidonis est celui de pouvoir revivre, à domicile, les double-programmes qu’Eddy Mitchell proposait dans sa Dernière séance. Il ne manque plus que le décor du cinéma de quartier, l’ouvreuse et ses esquimaux et nous y sommes ! Et si les films ne sont pas présentés par le chanteur-cinéphile, ils le sont par Patrick Brion dont l’érudition nous comble toujours.
Prenez par exemple ces deux westerns, installez-vous confortablement dans votre fauteuil, éteignez-bien les lumières et vous voilà en train de revivre le charme suranné (malheureusement !) de ces soirées dédiées au cinéma de genre.
Débutons par La rivière sanglante, sympathique série B réalisée par le non moins sympathique Nathan Juran dont nous avions parlé à propos du Tueur du Montana. Il retrouve à cette occasion sa « vedette » Audie Murphy, ancien militaire devenu acteur spécialisé dans les westerns de série B. Comme dans Le tueur du Montana, ce qui séduit ici est la manière dont le personnage évolue. Au départ, il est du côté des fripouilles belliqueuses qui souhaitent s’aventurer en terre indienne pour récupérer de l’or, malgré les recommandations de son père.
Peu à peu, il réalise qu’il a côtoyé des brigands et que les indiens ne cherchent pas la guerre.
En 1954, le regard porté sur les indiens a complètement changé. De l’ennemi sauvage à éliminer sans sommation, l’indien est devenu la victime de la sauvagerie blanche et de la colonisation.
Juran a une manière assez habile de montrer la prise de conscience d’un héros pourtant fermé, dans un premier temps, à cette civilisation (sa mère a été tuée par les indiens) et de dénoncer les exactions commises par les américains.
La rivière sanglante est un film étonnamment pacifiste qui frappe par une certaine sagesse qui vient s’incarner dans la figure du père : il a pardonné le meurtre de sa femme dans la mesure où le coupable a été puni et que justice a été rendue. Hors de question, pour lui, que tout le peuple indien soit déclaré coupable pour une exaction individuelle ! L’affaire sera encore plus frappante lorsque le spectateur apprendra l’identité de celui qui a tué cette femme (je vous laisse la surprise).
Le film a toutes les qualités et les défauts des westerns « B » de l’époque : à la fois une certaine sécheresse de trait dans l’exécution de la mise en scène (ô grand bonheur de voir un film qui ne dure pas plus de 75 minutes !) et une efficacité narrative indéniable. Parmi les défauts, des ficelles scénaristiques un peu grossières et une fin assez bâclée.
L’ensemble se voit néanmoins sans le moindre déplaisir.
Quand siffle la dernière balle est un western tardif du vieux briscard Henry Hathaway (il s’agit de son avant-dernier film), cinéaste passionnant à qui l’on doit à la fois un chef-d’œuvre comme Peter Ibbetson ou d’excellents films noirs (Le carrefour de la mort, L’impasse tragique). Dans sa présentation, Patrick Brion se révèle relativement sévère pour cette œuvre qu’il juge gâchée par une « violence à la mode ». Or je trouve ce reproche particulièrement injuste pour deux raisons. La première, c’est que cette violence est, somme toute, assez éludée (malgré le personnage odieux joué par Robert F. Lyons). La deuxième, c’est que le cinéaste parvient à la fois à renouer avec un certain classicisme tout en laissant apparaître ce qui était sous-entendu au cours de l’âge d’or du genre : la violence, la bestialité, la vulgarité…
La trame rappelle celle de True Grit (Cent dollars pour un shérif) qu’avait réalisé Hathaway deux ans auparavant : une histoire de vengeance (Gregory Peck a purgé sept ans de prison parce que son ancien complice lui a tiré dans le dos au cours d’un braquage) et de petite fille (notre héros se retrouve avec une fillette dans les bras qui pourrait bien être la sienne).
Pour ma part, je trouve que Quand siffle la dernière balle est très supérieur à Cent dollars pour un shérif : plus ramassé (95 minutes), plus joliment mis en scène et beaucoup plus efficace. Plutôt que de se plier à la mode du western italien, Hathaway reste fidèle aux vieilles recettes : les grands espaces, un découpage ample et limpide et une photographie absolument magnifique (soulignons-le : la copie restaurée présentée par les éditions Sidonis est splendide).
Mais ce classicisme est néanmoins irrigué par cette violence qui vient de chez Peckinpah et Leone. Ce qui était sous-entendu dans le western « classique » est désormais montré (un peu) : la violence à travers le personnage de Bobby Jay Jones qui joue à Guillaume Tell avec la petite gamine (scène terrifiante !) et le sexe (un personnage de prostituée battue et qui permet à Hathaway, sans doute pour la première fois chez lui, de filmer – un tout petit peu- la nudité). L’Ouest n’est plus cette terre vierge promise à la civilisation grâce aux bons soins des colons mais un univers impitoyable où règnent la cruauté, la cupidité et la loi du Talion.
Ce mélange des générations fonctionne, à mon sens, très bien. Lorsque Bobby Jay Jones (RF.Lyons) rencontre pour la première fois Clay Lomax (Gregory Peck) qu’il doit surveiller, il ne cesse de le titiller sur son âge (en gros, il le traite de vieux crouton !). Ces jeunes sont particulièrement odieux, capables de tuer un infirme (le patron du bistrot), de frapper les femmes et d’utiliser les enfants comme cibles. Mais le discours sur la jeunesse n’est pas univoque et les rapports entre Peck et cette petite fille permettent au cinéaste de rester tourné vers l’avenir. A mon sens, ils sont beaucoup plus subtils que ceux unissant John Wayne et l’adolescente de True Grit.
L’arrivée au cœur du récit de cette fillette permet au cinéaste de mettre en branle une douce mélancolie qui parcourra en filigrane ce western automnal (la nature jaunissante est filmée de façon prodigieuse) et crépusculaire.
Quand siffle la dernière balle est assurément un fil à redécouvrir et une belle surprise dans la filmographie de cet excellent artisan que fut Henry Hathaway.