L'épine dans le cœur (2009) de Michel Gondry (Editions Montparnasse) Sortie le 02 avril 2013

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Même si ce n'est sans doute pas son meilleur film, Soyez sympa, rembobinez est peut-être le film le plus caractéristique de Gondry. S'y dessine en effet toutes les obsessions qui semblent hanter ses dernières œuvres : la communauté et ce qui peut la fédérer, la place de l'individu au sein de cette communauté... Si j'ai détesté The we and the I qui navigue pourtant autour de cette même thématique, je dois concéder que L'épine dans le cœur m'a un peu réconcilié avec Gondry.

Loin des bricolages inventifs qui firent sa réputation (Eternal sunshine of the spotless mind, La science des rêves...), Gondry réalise ici un documentaire assez proche du « home movie » dans la mesure où la vedette de son film est Suzette, sa tante cévenole, institutrice et retraitée.

 

La forme du récit semble un peu hasardeuse au départ : réunions de famille, images des archives familiales en Super 8, retour de Suzette sur les lieux où elle a enseigné, rencontres avec des anciens élèves... Gondry joue sur la confusion, insère ça et là quelques plans animés en « stop motion », « reconstitue » des scènes de la vie quotidienne en s'adressant à une caméra qu'il tient à bout de bras, interroge Suzette et son fils Jean-Yves, utilise une chaise roulante pour suivre sa tante en train de marcher, etc.

Lorsque Suzette évoque le début des années 60 et l'arrivée des Harkis dans la région, on pense que le cinéaste a trouvé son sujet : superposer une mémoire « intime » et familiale à la mémoire « nationale ». On imagine qu'il va tenter de décrire toute une époque et un mode de vie à travers l'expérience de cette institutrice qui navigua tout au long de sa carrière dans des écoles rurales et connut les « joies » de la classe unique. Si cette dimension n'est pas totalement absente de L'épine dans le cœur (on sait gré, par ailleurs, à Michel Gondry d'éviter toute nostalgie et passéisme rance), ce n'est pas non plus l'objet principal du film.

 

Le véritable sujet, c'est cette fameuse « épine » dans le cœur de Suzette. Lorsqu'elle prononce ces mots, elle désigne son fils qui ne cesse de lui faire des reproches. Derrière la légèreté du projet se dessine alors en filigrane de grandes douleurs plus ou moins tues  : la mort d'un mari, un fils qui ne s'est pas remis de la mort de son père, l'éclatement d'une famille. Gondry s'intéresse de près à ce cousin singulier, vieux garçon (semble-t-il) homosexuel et passionné de petits trains électriques. Il essaie de le pousser dans ses retranchements, le faire parler de ses relations avec son défunt père et des liens ambivalents qui l'attachent à sa mère. A côté de la « star » Suzette, le cinéaste parvient à dessiner les contours d'un personnage introverti, attachant et émouvant.

 

Ce qu'il y a de plus beau dans L'épine dans le cœur, c'est aussi cette utopie qui traverse l’œuvre de Gondry : l'idée que l'Art peut permettre de rapprocher les individus, de ressouder la communauté. Il se donne ici le rôle de médiateur, interrogeant Jean-Yves sur une histoire douloureuse (Suzette l'aurait dénoncé à l'administration fiscale) puis prenant sa défense lorsque Suzette s'effondre à cette nouvelle. Il s'agit pour le cinéaste, à travers son film (et ses belles images en super 8, mélancoliques à souhait) de resserrer les liens de la famille, de donner l'illusion d'un groupe uni malgré les malentendus, les conflits, les séparations.

Comme dans Soyez sympa, rembobinez (j'y reviens!), c'est le cinéma qui permet au groupe de se reformer. Il y a une très belle séquence où Gondry remet au goût du jour un projet mené par Suzette autrefois : la projection d'un film en plein air pour une communauté villageoise. Au cœur des Cévennes, nous assistons donc à une projection de Remorques de Grémillon qui semble, le temps de quelques heures, souder le groupe autour d'un désir commun. De la même manière, le film de Gondry devient l'affaire de tous (à l'image de la séquence finale où chacun y va de son commentaire après avoir vu le résultat) et finit par sceller une communauté de destin et un désir de « vivre ensemble » malgré les dissensions.

 

C'est ce désir qui finit par emporter l'adhésion chez Gondry. Une des plus belles séquences du film est ce moment où il filme des écoliers endossant des costumes pour « devenir invisibles ». On voit alors dans la cour de récréation une sorte de ballet de petits fantômes qui s'amusent avec insouciance sur une très belle chanson de Charlotte Gainsbourg.

Chez Gondry, il y a tout à la fois ce désir joyeux de bricoler tous ensemble et ce sentiment amer que l'enfance passe vite et qu'il sera désormais impossible de retrouver cette légèreté absolue...

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