En quatrième vitesse (1955) de Robert Aldrich avec Ralph Meeker. (Editions Carlotta). Sortie le 20 novembre 2013.


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Une femme qui court sur une route la nuit, éclairée seulement par les phares des voitures. Elle semble nue sous son imperméable et tente désespérément d’arrêter un automobiliste. La mise en scène sèche et tranchante (répétitions de certains plans, découpage qui privilégie le mouvement des jambes et la peur sur le visage) nous plonge immédiatement dans le bain de ce film noir pas comme les autres pour instaurer une atmosphère angoissante.

L’inconnue est finalement recueillie par le privé Mike Hammer. Mais l’équipage se fera arrêter par les malfrats : la jeune femme est assassinée et notre héros se réveillera d’un coma de trois jours avec ces mots gravés dans son esprit : « Remember me ».

 

En quatrième vitesse débute comme un film noir classique avec un privé séducteur et réfractaire aux forces de l’ordre. Avec Mike Hammer, on songe autant à Sam Spade qu’à Marlowe. Le film d’Aldrich emprunte la construction de ce type de film noir : un évènement conduit à un autre évènement dans un autre lieu, avec d’autres personnages. Le récit n’est d’ailleurs pas ce qui intéresse forcément le cinéaste et on peut même lui reprocher un côté un peu mécanique. En revanche, comme le souligne justement Philippe Rouyer (en bonus du DVD), Aldrich se livre à un impressionnant travail de stylisation dans la mesure où chaque lieu constitue une sorte de « bulle » close. Les actions se succèdent dans ces lieux mais il manque une sorte de « lien » qui les connecterait entre eux. D’une certaine manière, c’est moins la trajectoire du personnage qui intéresse que la mise en scène de l’action dans une succession d’espaces indépendants.

Il n’empêche qu’Aldrich fait régulièrement appel aux conventions du « film noir » : secrétaire dévouée, femme « fatale », filatures, coups fourrés, bagarres et une enquête devenant de plus en plus nébuleuse. Pourtant, En quatrième vitesse n’est pas une nouvelle version du Grand sommeil (Hawks) ou du Faucon Maltais (Huston). En 1955, les choses sont en train de changer au cœur du cinéma hollywoodien. Aldrich, à l’instar de cinéastes comme Anthony Mann (pour le western) ou Blake Edwards (pour la comédie) est un artiste « entre-deux » : entre la souveraineté du classicisme et de ses codes (les éclairages contrastés du film renvoient à toute la mythologie du film noir) et la modernité qui fera voler en éclats les conventions desdits genres au cours des années 60 (Peckinpah, par exemple).

Très vite, on remarque que les enjeux d’En quatrième vitesse dépasse la simple résolution d’une enquête complexe. En 1955, l’Amérique est en pleine « guerre froide » et sort tout juste de la sinistre période du maccarthysme. Au-delà de l’intrigue se profile donc l’angoisse du nucléaire avec cette mystérieuse (et désormais fameuse) boite qui fait basculer l’œuvre dans la science-fiction. Pour Aldrich, ce Béhémoth nucléaire est symbolisé par cette boite de Pandore (expressément citée comme telle) qui libère tous les maux sur le genre humain. Je me permets de citer une fois de plus Rouyer, non pas pour le paraphraser mais parce que ces références sont évidentes, lorsqu’il souligne que le film se termine par une débauche de citations bibliques (Loth transformée en statut de sel) et mythologiques (Cerbère, le gardien des Enfers).

Dans En quatrième vitesse, la trame policière est transfigurée en une sorte de grande  méditation sur le Mal, une des questions qui ne va cesser de hanter le cinéma d’Aldrich.

Ce Mal que pouvait autrefois endiguer la communauté (c’était le sens des films de Ford) n’est désormais plus appréhendé que sous l’angle de la lutte individuelle. Les privés d’autrefois, incarnés par Bogart notamment, étaient déjà individualistes. Mais avec le Mike Hammer d’Aldrich, cette dimension est exacerbée. La fugitive qu’il prend en stop contre son gré lui fait d’ailleurs remarquer : il ne s’intéresse qu’à sa petite personne, ses habits, sa voiture et sa musculature. Hammer est un héros plutôt antipathique : froid, violent, sans beaucoup d’humour. Mais c’est aussi un homme seul pris dans les rets d’une histoire compliquée qui le dépasse. Son parcours va alors se résumer à une simple lutte pour la survie. Echapper aux griffes des malfrats constamment et se démener pour ne pas se faire tuer. Dès la première séquence, le ton est donné : une course incessante, une fuite en avant permanente…Les halètements de la fugitive que l’on entend au générique traduisent parfaitement ce sentiment d’épuisement d’un individu désormais livré à lui-même dans un monde vide de sens.

 

La force d’En quatrième vitesse tient dans cette dynamique entre les ficelles (solides) du genre et la manière dont le cinéaste joue avec elle, déplace les enjeux du récit sur un plan que nous qualifierions volontiers de métaphysique. Car chez Aldrich, il est toujours question de l’incessante lutte pour la survie d’individus à la dérive dans un monde livré à la puissance du Mal…

 

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Toujours chez Carlotta, signalons la sortie aujourd’hui d’un magnifique coffret double DVD de La porte du paradis, le chef-d’œuvre maudit de Michael Cimino. Comme c’est souvent le cas, l’éditeur a fait les choses bien et outre la version restaurée de ce film dont nous avions parlé il y a peu (voir ma critique ici), ces DVD sont accompagnés d’un livret très complet signé Jean-Baptiste Thoret et de nombreux suppléments (essentiellement des entretiens avec le cinéaste et les acteurs du film). La période des fêtes approchant, voilà un cadeau qui fera plaisir à tous vos amis cinéphiles. Mais rien n’interdit de devancer ces fêtes et de vous faire plaisir vous-mêmes !

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