Avoir 20 ans dans les Aurès (1972) de René Vautier avec Philippe Léotard, Alexandre Arcady, Jean-Michel Ribes

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Après avoir été le fer de lance d'un certain cinéma anticolonialiste (on lui doit l'impressionnant Afrique 50, qui fut censuré pendant plus de 40 ans et qui lui vaudra une condamnation à la prison), René Vautier revient en 1972 sur les lieux du drame et tourne une « fiction » sur la guerre d'Algérie.

Avoir 20 ans dans les Aurès traite de la guerre d'Algérie par le petit bout de la lorgnette et tel Fabrice à Waterloo, le commando d'une douzaine d'hommes que l'on suit pendant près d'1h40 est au cœur d'un conflit qui le dépasse et dont le spectateur n'aura une vision « globale » qu'à travers la voix de la radio (en particulier le putsch des généraux).

La particularité de ce commando, c'est qu'il regroupe une douzaine d'insoumis et de pacifistes que tente de diriger le lieutenant Perrin (incarné avec une réelle intensité par Philippe Léotard).

 

Lorsque débute le film, au son de deux chansons « engagées », on commence par craindre un peu le « film-dossier » et la fiction de gauche entonnant sans nuance le couplet « la guerre, c'est mal ». Or si Vautier est bien évidemment un cinéaste engagé (très à gauche) et antimilitariste, il parvient à donner une véritable complexité à son œuvre et ne s'en tient pas à de simples beaux discours.

D'une certaine manière, il réussit à mon sens le pari que Bigelow n'est pas parvenu à tenir avec son récent Zero dark thirty. Les deux films ont d'ailleurs certains points communs : refus de l'héroïsme, de la geste épique et guerrière (sauf lors de la séquence de l'assaut final chez l'américaine) et, surtout, une volonté de s'en tenir aux faits en s'appuyant sur une solide documentation.

Il est précisé au générique du film que chaque fait décrit peut être confirmé par au moins cinq témoins et que la « fiction » (puisqu'il s'agit d'une reconstitution) se nourrit de faits avérés. Mais là où Bigelow utilise la « réalité » pour faire passer en douce une idéologie univoque, Vautier fait exploser le carcan du « vérisme ».

 

Avoir 20 ans dans les Aurès débute par une succession de saynètes hyperréalistes : marche dans la rocaille, soins au blessé du commando après une attaque, gestion des prisonniers... Tous ces hommes qui portent les armes sans le vouloir se souviennent de la manière dont ils ont été embrigadés sous la bannière de Perrin. Ils pensaient pouvoir faire bloc contre lui mais c'est lui qui est parvenu à avoir la main sur eux.

C'est ici que Vautier se montre très habile. Au manichéisme sommaire qui consisterait à opposer de « gentils » soldats à un salopard de lieutenant, il montre comment la guerre et son horreur parvient à brouiller la frontière entre le Bien et le Mal et à transformer des gamins de 20 ans en des bêtes sanguinaires. Car à force de placer ses hommes dans des conditions extrêmes (sous le feu permanent des balles), Perrin parvient à les obliger à tirer, à se défendre. A partir de là, le ver est dans le fruit et ceux que nous prenions pour les « héros » se transforment en monstres, notamment dans cette scène terrible où ils violent une femme algérienne.

 

Même si Vautier est du côté des insoumis et des pacifistes, il montre très bien l'emprise que la guerre peut avoir sur les individus et la manière dont un discours peut-être instrumentalisé au profit d'une cause (le discours de Léotard, à la fin du film, qui « loue » le déserteur pour manipuler ses hommes et les inviter à ce venger est, en ce sens, assez édifiant).

 

Ce qui séduit dans le film, c'est cette manière qu'a le cinéaste d'éviter les discours (cela ne veut pas dire qu'il se prive d'avoir un véritable point de vue) et de nous plonger dans le quotidien aride et âpre de ces hommes. Le film joue sur différentes « temporalités » : plages contemplatives où Vautier laisse durer des chants berbères, passages quasi-documentaires et flash-back sur le quotidien de la troupe... De la même manière, après s'être concentré de façon quasi-exclusive sur la vie dans un campement de fortune, le film bifurque dans sa dernière demi-heure en se recentrant sur un seul personnage (joué par Alexandre Arcady) qui s'enfuit avec le prisonnier algérien.

Là encore, le film prend soin de prendre la mesure de l’ambiguïté de la situation et de la position radicalement pacifiste adoptée par Noël (le lieutenant lui parle de sa « bonne conscience » qui n'empêche pourtant pas les morts). Il prend aussi de jolis chemins de traverse en confrontant ces fugitifs à une famille algérienne qui leur viendra en aide, redonnant un peu d'espoir dans les idéaux de fraternité.

 

Sous ses allures de pamphlet anticolonialiste et antimilitariste (ceci dit, nous ne reprocherons jamais à quelqu'un d'adopter ces positions !), Avoir 20 ans dans les Aurès est un film complexe et qui sait questionner, par le biais du cinéma, les certitudes « politiques ». Par exemple, c'est tout à l'honneur de Vautier, pourtant communiste, de montrer qu'un prolétaire sous un uniforme ne reste pas un prolétaire et que la « fraternité de classe » est une douce utopie.

Du coup, son réquisitoire contre toutes les guerres (pas seulement celle d'Algérie) est encore plus intense dans la mesure où il nous place face à ces horreurs et montre avec beaucoup de force comment elles détruisent les individus (pas seulement de manière physique).

 

Le film est assez dur et aride (ce n'est pas une partie de plaisir) mais c'est aussi un témoignage d'une réelle importance sur cette fameuse guerre sans nom...

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