38 témoins (2011) de Lucas Belvaux avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia, Natacha Régnier, Didier Sandre

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Lucas Belvaux est venu l'autre soir présenter au public dijonnais son dernier opus. La tâche qui m'incombe ce soir est donc assez difficile car il s'agit non seulement d'un cinéaste sympathique et très intéressant lorsqu'il évoque son métier ; mais également parce que j'ai plutôt bien aimé ses films précédents, que ce soit le délicieux Pour rire !, la fameuse trilogie grenobloise (Cavale, Un couple épatant et Après la vie) ou La raison du plus faible.

Avec 38 témoins, Belvaux s'installe, à l'instar de Kaurismäki, dans la bonne ville du Havre et adapte librement à l'écran un roman (Est-ce ainsi que les femmes meurent?) que Didier Decoin a lui-même tiré d'un fait divers américain.

 

Le scénario peut se résumer en quelques lignes : une jeune femme est sauvagement assassinée en pleine nuit mais, lorsque la police enquête dans le voisinage, il s'avère que personne ne l'a entendue. Beaucoup d'immeubles aux alentours mais pas un seul témoin jusqu'au jour où Pierre (Yvan Attal), rongé par la culpabilité, décide de parler aux gendarmes...

 

Le film débute plutôt bien. Lucas Belvaux prouve une fois de plus qu'il sait installer une atmosphère inquiétante en jouant avec les ambiances nocturnes, les nappes sonores (la bande-son est travaillée de manière très intelligente, entre musique « concrète » à base de sonorités diverses- sirènes, moteurs, etc- et compositions musicales plus classiques) et le cadre. Ce qui séduit le plus dans 38 témoins, c'est le « décor », cette rue qui devient un véritable petit théâtre du crime. Le cinéaste joue à merveille (on se souvient de l'importance de la ville Grenoble dans la trilogie) avec la topographie, ces appartements qui se font face et qui apparaissent tous comme des points de vue « aveugles » sur l'affaire criminelle. Lorsque Pierre regarde par la fenêtre et qu'il voit l'un de ses voisins sur le balcon en train de le fixer, un trouble réel naît dans l'esprit du spectateur qui ressent alors le poids de tous les secrets pouvant se dissimuler derrière ces rideaux.

 

Puis arrive la confession de Pierre et c'est alors que le bât blesse.

Primo, parce que Belvaux s'est planté sur son casting et qu'Yvan Attal n'est pas très bon. Il incarne ce personnage de manière un peu molle et dégage un charisme à peu près équivalent à celui d'un beignet. En face de lui, Sophie Quinton est plutôt convaincante (mais on sait que la jeune femme est une excellente actrice depuis Qui a tué Bambi?) et Nicole Garcia joue comme dans un téléfilm de France 2 et paraît un peu à côté de la plaque.

Secundo, parce que cette tirade pleurnicharde fait virer le film du côté de l'analyse psychologique un peu lourde et une volonté explicative qui sied mal au projet.

C'est toujours une très mauvaise idée que de donner des conseils à un cinéaste sur ce qu'il aurait dû faire ou pas mais je trouve que 38 témoins aurait été excellent si Belvaux avait poursuivi dans le style « clinique » qu'il adopte dans un premier temps. Il serait peut-être alors parvenu à une analyse du mystère de l'âme humaine à la manière de Truman Capote dans De sang-froid. Malheureusement, il retombe vite dans les mailles d'un cinéma de « qualité » avec longues (très longues!) plages de dialogues et la pesanteur de silences trop explicatifs.

 

Belvaux nous l'a avoué : il voulait avec ce film prendre le contre-pied de Simenon et de la devise de Maigret : « comprendre, pas juger ». Pour lui, il ne s'agit pas d'éviter la phase de compréhension mais il lui semble nécessaire de juger (notamment ces 38 non-assistances à personne en danger). De la même manière, il nous a confié ne pas vouloir jouer sur l'opacité totale et offrir des « réponses ».

Si sa position peut être défendable, encore faut-il tenir en compte de la complexité de la nature humaine. J'aimais beaucoup la façon dont Belvaux faisait d'un « terroriste » un véritable personnage de cinéma dans Cavale et Après la vie : on pouvait le « juger » mais le cinéaste parvenait à montrer la frontière poreuse entre le Bien et le Mal et qu'un terroriste pouvait aussi avoir une certaine idée du Bien et du Juste.

Dans 38 témoins, on ne retrouve plus cette ambiguïté. Il y a une frontière très marquée entre le Bien (que découvre Pierre en parlant) et le Mal (ceux qui se taisent) et il ne reste plus alors qu'à limiter la complexité de la nature humaine à une juxtaposition de diverses positions (celle des témoins -voir par exemple l'insupportable tirade de Natacha Régnier-, du juge, de la journaliste...) qui ne traduisent finalement qu'une position déjà réfléchie.

A force de vouloir tout expliquer et clarifier, Lucas Belvaux gâche un peu son projet même si, par moment, on retrouve une certaine puissance dans la mise en scène (la reconstitution finale du crime est plutôt réussie). Mais parallèlement, on doit subir quelques séquences épouvantables, à peine dignes du plus plat des téléfilms (un dialogue affreusement mal filmé sur la plage entre Garcia et Attal).

 

C'est dommage mais malgré ce malencontreux faux pas, je n'ai pas perdu toute confiance en cet attachant cinéaste qu'est Lucas Belvaux...

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