Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino avec Christoph Waltz, Jamie Foxx, Leonardo DiCaprio, Samuel L. Jackson, Franco Nero

 classe.jpg

Avant d'analyser Django Unchained, il convient d'éviter deux écueils. Primo, juger le nouveau film de Tarantino à l'aune de ses déclarations stupides sur Ford et Huston. Pour ma part, j'aime énormément les livres de Houellebecq alors que les âneries qu'il profère pour les journalistes (il leur offre, finalement, ce que ces charognes attendent : un peu de provocation gratuite pour faire vendre du papier) me hérissent le poil. Que Tarantino n'ait rien compris au cinéma de Ford et qu'il se permette de juger certaines ambiguïtés de son cinéma à l'aune des valeurs stupides de notre époque, voilà qui n'a strictement aucun intérêt et mérite seulement d'être passé sous silence.

Deuxième erreur à ne pas commettre : voir dans Django Unchained un vibrant plaidoyer antiesclavagiste. Je me doute que certains critiques bien-pensant ont vu dans ce sous-texte « de gôôôche » un moyen de se dédouaner de jouir d'une violence parfois très sanguinolente. Mais il est bien évident que prétendre être contre l'esclavage en 2013, c'est presque aussi courageux que de se déclarer antinazi ou contre la guerre aujourd'hui : difficile de faire un film avec si peu de matière et de se contenter d'un discours aussi inepte !

Par ailleurs, il est quand même assez piquant de voir certains critiques tenir de grands discours sur le « western » en général, en pointant son « manichéisme » et ses héros « monolithiques » pour louer le caractère « réaliste » et  « immoral » de son avatar italien (et, par extension, faire l'éloge de Tarantino qui s'inscrit dans cette tradition). Parce qu'à bien y regarder, Django Unchained est bien évidemment moins profond que la plupart des grands westerns « classiques », La prisonnière du désert par exemple, et c'est un film qui se contente tout bonnement d'inverser les stéréotypes (supposés) du genre (les noirs sont des victimes et des héros tandis que les blancs sont tous des ordures, exception faite d'un seul personnage dans chaque camp) et qui s'amuse énormément à être aussi outrancier que le plus caricatural possible.

Il me semble bien évident que Tarantino est suffisamment intelligent pour ne pas prendre au premier degré son couplet sur l'esclavage et sur cette histoire de revanche. Il me semble même qu'il ne faut pas non plus juger Django Unchained à l'aune de ses références cinéphiliques. Le film est certes un western, qui s'amuse à multiplier les clins d’œil au genre (ne serait-ce que par l'apparition amusante de Franco Nero, le premier « Django » du film de Corbucci). Mais là n'est pas l'essentiel1 , me semble-t-il, et ce qui passionne dans ce dernier opus, c'est qu'il s'agit avant tout d'un film de Tarantino et que s'il fallait vraiment l'inscrire dans un genre, ça serait davantage dans la catégorie des comédies que je le classerais.

 

Faut-il encore rappeler l'histoire de ce chasseur de prime (C.Waltz) qui libère un esclave noir (Django incarné par un Jamie Foxx qui ne m'a jamais emballé) pour en faire son bras droit et récolter des récompenses contre des têtes ? Par la suite, Django cherchera, avec l'aide de son complice, à libérer sa femme d'un riche propriétaire foncier du Mississippi (interprété avec délectation par DiCaprio)... La première séquence où Schültz délivre Django de deux affreux négriers nous met directement dans le bain : aux deux ploucs du Sud, Tarantino oppose le dandy progressiste joué avec une suavité jubilatoire par le génial Christoph Waltz et dilate le temps en retardant au maximum les explosions de violences à l'aide de dialogues savamment écrits.

Comme le soulignait avec beaucoup de perspicacité l'ami Timothée, le cinéaste semble substituer à la séquence traditionnelle du duel des joutes verbales qui s'éternisent mais qui constituent l'armature même de son projet. Il faut voir la scène qui précède une des grandes fusillades finales (les geysers de sang et les ralentis renvoyant bien évidemment au finale de La horde sauvage de Peckinpah) : il s'agit seulement d'un dialogue entre Waltz et DiCaprio autour d'une poignée de main à concéder ou non. Ces dialogues remplacent, d'une certaine manière, les durées dilatées d'un Sergio Leone ; Tarantino jouant moins sur le formalisme (ce n'est pas un cinéaste « maniériste », plutôt un « postmoderne » s'il fallait absolument trouver une appellation) que sur une mise en scène de la parole.

On se souvient qu'Inglorious basterds était avant tout un film sur le cinéma et la croyance. Django Unchained est peut-être d'abord un film sur le théâtre et sur le jeu. Plusieurs fois, Schültz encourage Django à jouer un rôle, à entrer dans la peau d'un personnage (de négrier ou de spécialiste de combats d'esclaves). Et lorsque notre héros retrouve pour la première fois sa bien-aimée, c'est après que Schültz a frappé les trois coups, comme au théâtre, qu'il apparaît. Le cinéaste multipliera d'ailleurs ces apparitions flamboyantes, y compris jusqu'à la parodie dans la dernière scène du film. Car ce qui l'intéresse avant tout, c'est cet univers du jeu et de la parole. Django Unchained est un grand plaisir de l'oreille : richesse du texte, plaisir de la langue (l'allemand qui s'invite de temps en temps, les intonations précieuses de Waltz, le langage malhabile de Foxx, les accents sudistes...) et puissance de ces joutes qui s'éternisent et parviennent à créer du suspense et une véritable « tension ».

 

Pour Tarantino, le genre devient un véhicule où peut s'inscrire une parole singulière : la sienne. Ce qui me déplaisait dans le brio des dialogues de ses premiers films (Reservoir dogs, Pulp Fiction), c'est qu'ils apparaissaient comme une sorte de « plus-value » à des exercices de style sans véritable chair. Tarantino était alors plus malin que le genre et que ses personnages. Depuis Jackie Brown et surtout Kill Bill (que je considère toujours comme son chef-d’œuvre), le cinéaste affiche un véritable désir de fiction et de personnages. Déclinant désormais sous toutes les formes possibles des récits de vengeance très stéréotypés, il parvient à réinvestir ces fictions d'une croyance qui leur confère une incroyable puissance.

 

Il ne s'agit bien évidemment pas dans Django Unchained de « démystifier » l'Ouest américain des pionniers et de tenir un discours sur l'horreur de l'esclavage (la scène la plus faible du film est d'ailleurs celle où Tarantino succombe un peu à cette tentation, lorsque Django est sur le point d'être émasculé et que Samuel Jackson – méconnaissable- lui tient un grand discours sur le pire châtiment imaginable qui ne sont ni les coups de fouets, ni la mutilation mais tout simplement d'être vendu comme esclave à vie) mais d'offrir aux noirs une sorte de « revanche » pour le plaisir de la fiction (je ris encore de ceux qui s'offusquent qu'Inglorious Basterds trahisse à ce point l'histoire officielle alors que le but est exactement le même : offrir aux victimes de l'Histoire une sorte de revanche fictionnelle).

Alors, bien sûr, le cinéaste va loin dans la caricature et le stéréotype (un stéréotype inversé restant toujours, on en conviendra, un stéréotype!) mais il le fait pour le pur plaisir de la fiction.

Et c'est drôle, captivant et toujours porté par une belle foi dans le cinéma.

 

1 On se reportera au bel article de Vincent, grand spécialiste du genre, pour avoir un aperçu complet des références du film.

Retour à l'accueil