Entrez vite…vite, je mouille ! (1978) de Jean-Pierre Bouyxou avec Cathy Steward, Jenny Feeling, Cyril Val, Dominique Aveline, Jean Rollin

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Il y a toujours un risque de découvrir les films qu’on rêve de voir depuis une éternité. A force de l’imaginer à partir des textes qu’on a pu lire (notamment le succulent dithyrambe de Noël Godin dans Une encyclopédie du nu au cinéma), on arrive à concevoir un film rêvé ne correspondant pas forcément à l’œuvre telle qu’elle s’avère être.

Ces contorsions rhétoriques ne veulent pourtant pas dire que le deuxième long-métrage de l’indispensable Jean-Pierre Bouyxou est mauvais mais simplement qu’Entrez vite…vite, je mouille ! n’est pas comme je l’avais imaginé. Pour le dire vite, c’est d’abord et avant tout un film pornographique (ce qui n’est pas un problème en soi) qui ne se distingue pas au premier abord (mais nous allons apporter très vite des nuances) du tout-venant des canons du genre en ce sens que sur les 70 minutes que dure à peu près le film, c’est bien le bout du monde s’il subsiste 10 minutes de scènes non explicites.

Une fois qu’on admet qu’il s’agit d’un film de genre avec toutes les contraintes que cela suppose (des scènes coupées sans vergogne et n’importe comment par des producteurs peu scrupuleux, un montage remanié de manière parfois très curieuse, une obligation de boucler le film en quelques heures…) et les figures imposées que vous pouvez imaginer (ça baise d’un bout à l’autre du film) ; il est possible de regarder sereinement Entrez vite…vite, je mouille ! et d’analyser pourquoi le film de Bouyxou fait figure de jolie réussite au sein d’une production X médiocre et stéréotypée.

 

Primo, parce que le cinéaste ne joue pas au plus malin avec le genre : il en respecte les contraintes et essaie de les rendre joyeuses. Comme dans Amours collectives, c’est un vrai respect pour les individus filmés qui frappe dans le film alors que le genre tend volontiers à réifier les corps. Bouyxou aime le sexe (qui donc l’en blâmera ?) et il le filme plutôt pas mal (la fameuse triple fellation filmé à la Howard Hawks) malgré le cahier des charges lié au genre (cette esthétique du très gros plan). Et surtout, ceux qui s’adonnent aux joies des parties de jambes en l’air à l’écran ont l’air de se sentir bien : pas d’avilissement de la femme à coup d’insultes et de positions « forcées », pas de phallocratisme dans la manière d’aborder ces scènes. Bouyxou introduit au contraire un humour toujours bienvenu et se permet quelques références à la littérature coquine qu’il affectionne tant (certaines situations et dialogues semblent tout droit venir des romans licencieux de Pierre Louÿs). Pour une fois, on sent dans un film du désir, de la complicité et du jeu.

 

Même si cet aspect est moins développé que je l’imaginais, c’est le côté résolument libertaire du scénario qui réjouit également. L’argument tient en deux lignes : alors qu’un couple de la grande bourgeoisie (les Dupied) cherche avec la complicité d’un notaire véreux à extorquer au grand-père sénile de la famille (Michel Gentil alias Jean Rollin) un héritage avantageux ; les petites gens de la maison (la bonne, le facétieux facteur- un homme de goût qui lit Fascination-, la sœur de Monsieur Dupied) se révoltent et transforment la maison familiale en baisodrome. Et comme l’amour (c’est bien connu) peu libérer tous les freins, le grand-père finit par transformer son usine d’objets pieux en usine de poil à gratter et l’offre à ses ouvriers !

Ce vent libertaire souffle discrètement mais en permanence sur les ébats que filme Bouyxou, que ça soit par le recours au jeu de mot foireux (« Vous le prenez, madame Dupied ? »), par des petites idées de mise en scène assez rigolboches (la voix-off neutre et « documentaire » qui surgit pour commenter un accouplement poussif) et une provocation assez inédite dans un genre assez conformiste malgré les apparences (Bouyxou imagine des situations que n’auraient pas renié Pierre Louÿs : un inceste entre frère et sœur alors que cette dernière est censée être mineure, la petite gâterie que l’innocente donzelle offre à son…grand-père).

Tout cela est plutôt réjouissant et renforcé par le jeu décalé des comédiens (plutôt pas mal, ce qui est rare dans le genre : on appréciera à sa juste mesure le grand numéro de cabotinage de ce cher Jean Rollin).

 

On rêve après avoir vu ce film au porno que pourrait réaliser Bouyxou si on lui donnait plus de moyens et une liberté totale. Je ne doute pas un instant qu’il pourrait nous offrir un véritable petit chef-d’œuvre, à l’instar de ceux qu’il a écrits : L’odieux tout-puissant, Sévices après-vamps, Les clystères de Paris

 

NB : Je remercie à nouveau chaleureusement Jean-Pierre Bouyxou pour la copie de son film.

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