La technique et les sentiments
L'écume des jours de Michel Gondry avec Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy, Gad Elmaleh
Michel Gondry était sans doute le cinéaste le plus à même de porter à l'écran le roman réputé inadaptable de Boris Vian L'écume des jours (une première version a pourtant été tournée en 1968 par Charles Belmont). La rencontre entre l'indéniable talent visuel de Gondry et la fantaisie de Vian semblait même couler de source tout en faisant naître de légitimes craintes.
En effet, ce n'est jamais sans appréhension que l'on voit un cinéaste s'attaquer à un roman célèbre, surtout lorsqu'il nous a marqué comme aucun autre au moment de l'adolescence et qu'il demeure encore aujourd'hui l'une des plus belles histoires d'amour jamais contées. D'autre part, parce que nous avions laissé Gondry sur l'échec du sinistre The we and the I et qu'on pouvait se demander comment le cinéaste allait rebondir après ce faux pas.
L'écume des jours marque un net regain de forme et l'on retrouve le Gondry qu'on a aimé (modérément, mais quand même) de Eternal sunshine of the spottless mind et La science des rêves. En adaptant très fidèlement et presque littéralement les images de Vian, il nous offre dans un premier temps un maelström d'inventions visuelles qui réjouissent l’œil. Le film est un bric-à-brac surréaliste et poétique où se mêlent les technologies les plus modernes (les effets spéciaux numériques) et ce côté « rétro » qui fait également le fond de commerce de Gondry (minitels, téléphones à cadran, disques vinyles...). Cette fantaisie débridée lui permet de retrouver l'esprit du roman de Vian et offre un cadre idéal à la bouleversante histoire d'amour qui va se jouer entre Colin (Romain Duris) et la jolie Chloé (Audrey Tautou) condamnée par un nénuphar qui lui pousse dans le poumon...
Gondry opte pour la technique du « toujours plus », saturant le moindre de ses plans d'idées visuelles, de transpositions littérales des inventions poétiques ou rigolardes de Vian, de situations insolites. Prises une à une, les séquences de L'écume des jours s'avèrent assez réussies, mais se succèdent néanmoins à la manière de petits « clips » décalés comme en réalisait autrefois le cinéaste (séquence « mariage », séquence « pique-nique », séquence « patinage »...). Et c'est là que le bât blesse un peu : la technologie et le désir un peu trop voyant d'exhiber des « trucs » font que l'émotion finit par être un peu étouffée dans l’œuf. Le casting qui faisait très peur sur le papier n'est pas en cause : les acteurs, y compris l'insipide Gad Elmaleh, s'en tirent plutôt bien mais ils n'ont finalement pas de véritables personnages à défendre.
Est-ce un souvenir idéalisé du roman mais, pour moi, L'écume des jours est avant toute chose « le plus poignant des romans d'amour contemporains » [Queneau]. Or à presque aucun moment, on ne ressent vraiment la passion qui lie Chloé et Colin. Noyés dans un univers totalement bricolé, les personnages peinent à exister autrement que comme de simples marionnettes que Gondry se plaît à déformer (les scènes de danse), à malmener (comme dans des dessins animés, les lois de la gravitation sont violées et il n'y a pas vraiment de « douleur »)...
On pense un peu à une autre adaptation malicieuse qui virait au bout du compte à un simple exercice de style : Zazie dans le métro de Louis Malle. Ce que l'écriture peut ouvrir comme champ des possibles n'est pas forcément transposable au cinéma, art « réaliste » par essence (sans vouloir jouer les copistes zélés de Bazin). Vian, comme d'autres écrivains (Roussel, Lautréamont, Sade, Breton...), me paraît totalement impossible à adapter fidèlement à l'écran.
Reste que Gondry s'en tire quand même honorablement grâce au foisonnement de son imagination et de ses bricolages. J'aime beaucoup la parti-pris du cinéaste de jouer sur une note très enjouée au départ (univers très coloré et fantaisiste, avec l'apparition assez savoureuse d'Alain Chabat) pour assombrir peu à peu tous les éléments de son film et finir en noir et blanc. Il y a des idées visuelles très fortes (qui étaient d’ailleurs déjà présentes chez Vian) comme ce parti-pris de rétrécir l'espace à mesure que la maladie de Chloé se développe. Et ces murs qui se rapprochent et serrent la poitrine de Colin lorsqu'il apprend la nouvelle resteront une image très forte.
De la même manière, la séquence finale (que nous ne révélerons pas) est d'une beauté assez déchirante, laissant enfin affleurer une émotion que le spectateur aura eu du mal à ressentir auparavant...