La voix sans visage (suite)
Philippe Garrel à Digne (second voyage) (1979) de Gérard Courant
Quatre ans après y avoir montré un certain nombre de ses films, Philippe Garrel est retourné aux rencontres cinématographiques de Digne en 1979, à l’occasion d’une rétrospective de son œuvre. Après la projection de Marie pour mémoire, Athanor, Voyage au jardin des morts et Le bleu des origines (quand se décidera-t-on enfin à remontrer ces œuvres ?), le cinéaste s’est livré au jeu de la rencontre avec le public.
Gérard Courant était également dans la salle et, conformément à son inextinguible désir d’archivage à tout prix, il a enregistré la rencontre pour la postérité.
La forme de ce second voyage est identique à celle du premier (dont j’ai dit quelques mots ici) : une simple bande-son agrémentée d’images (fixes ou en mouvement) diverses (photos des personnes évoquées, photogrammes ou courts extraits des films de Garrel, extrait du Cinématon de Robert Kramer…), de cartons (qui reprennent souvent ce qui est dit dans la salle et qui aident notre perception car le son n’est pas toujours très audible) ou encore ces fameuses images « abstraites » de feux d’artifices décomposés par le ralenti.
Une fois de plus, l’intérêt de ce « carnet filmé » est d’offrir un instantané de la réflexion d’un artiste (Garrel) sur son propre art à un moment précis de son existence.
En 1979, Garrel arrive au bout de son trajet au cœur de « l’art pour l’art » (à partir de 1982, avec L’enfant secret, il va revenir à un cinéma plus « narratif »). Il vient de tourner à la manivelle (avec Zouzou et Nico) le bleu des origines et il explique ici de manière assez lumineuse son intérêt pour le cinéma primitif (les Lumière, le muet…) et en quoi le fait de tourner à la manivelle lui a permis d’expérimenter un nouveau rapport aux comédiens.
Outre les renseignements précieux que cette rencontre apporte sur l’idée que Garrel se faisait du cinéma à cette époque (il est parfois peu tendre avec certains, notamment avec Maria Schneider qui jouait dans Voyage au jardin des morts d’après d’Annunzio. Garrel affirme en l’évoquant que certains comédiens se sont tellement « salis » dans le cinéma commercial qu’ils viennent ensuite se « laver » dans l’avant-garde) ; elle permet également de mesurer l’évolution du débat cinéphilique à travers les âges.
Peut-être n’est-ce qu’une impression mais il me semble que le débat est ici plus terne et beaucoup moins politisé que celui du premier voyage de 1975. Seul accroc de la rencontre : une féministe assez tarte qui vient reprocher au cinéaste sa « vision mâle » lorsqu’il filme les femmes. Nonobstant le fait que cette affirmation ne veut strictement rien dire et que je ne vois pas beaucoup de cinéastes français dans l’histoire du cinéma ayant aussi bien filmé les femmes que Garrel (Ophüls sans doute, Godard parfois, Truffaut peut-être… Qui d’autres ?) ; ce petit débat stérile au cœur de la rencontre illustre de manière assez saisissante l’évolution de la pensée après l’échec de 68 : la revendication partielle et « communautaire » se substituant au mouvement collectif…
Et Gérard Courant, dans tout ça ? Vous me direz qu’enregistrer une discussion et coller quelques images illustratives sur une bande-son ne fait pas un film, encore moins une œuvre personnelle. Eh bien vous avez tort !
L’un des passages les plus intéressants du film est peut-être le moment où Garrel exprime le souhait de voir le cinéma se débarrasser de « l’épreuve sportive du tournage ». Par là, il affirme qu’il aimerait procéder comme un peintre, à savoir tourner un peu tous les jours, sans obligatoirement que ces images s’intègrent dans une œuvre « achevée ». Or il se trouve que ces croquis, esquisses ou notes, Gérard Courant les pratique depuis la fin des années 70.
En ce sens, à travers les deux « carnets » qu’il a ramené de Digne, le cinéaste réalise le souhait de Philippe Garrel et se l’approprie pour inventer un cinéma qui depuis (notamment depuis l’avènement des petites caméras vidéos) n’a pas cessé de faire des petits…
NB : Avis aux parisiens : la Cinémathèque française consacre ce vendredi (29 janvier) une soirée aux deux films de Gérard Courant (en sa présence) sur Philippe Garrel à Digne, auxquels s’ajouteront quelques cinématons consacrés à la « famille » de l’auteur de La cicatrice intérieure (Garrel lui-même mais aussi Zouzou, le peintre Frédéric Prado, etc.). Ne manquez pas le rendez-vous et venez m’en parler ici.