L’obsédé (1965) de William Wyler avec Terence Stamp, Samantha Eggar

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Pourtant beaucoup défendu par André Bazin, William Wyler est devenu avec le temps une sorte d’archétype (avec des gens comme Victor Fleming ou Fred Zinnemann) du cinéaste hollywoodien classique sans génie, sans arrêt guetté par l’académisme. Même si certains critiques comme Pierre Berthomieu tentent aujourd’hui de réévaluer des cinéastes dans son genre (Clarence Brown, Curtiz…), je dois avouer que j’ai toujours un peu de mal à me défaire de son image de sage illustrateur des Hauts de Hurlevent (avec Laurence Olivier) ou, pire encore, de maître de chantier du monumental Ben-Hur avec Charlton Heston.

L’obsédé fait partie de sa dernière partie de carrière et c’est toujours une chose passionnante que de découvrir les œuvres tardives des grands maîtres. Ne devant plus rien prouver à personne, ils signent souvent des films beaucoup plus libres et n’hésitent pas à aborder plus frontalement, libéralisation de la censure oblige, des thèmes qu’ils effleuraient jusque là.

Alors qu’il signa Les grands espaces, Wyler privilégie dans L’obsédé (The collector en VO) un huis clos lui permettant de mettre en scène des rapports troubles et ambigus entre deux êtres comme purent le faire d’autres cinéastes « classiques » comme Mankiewicz (Le limier) ou Robert Aldrich (Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?).

 

Parce qu’il a gagné au jeu des paris, Freddie Clegg (Terence Stamp) est devenu millionnaire et a acquis une vaste demeure isolée de tout à la campagne. Fou de désir pour une étudiante en Beaux-Arts (Samantha Eggar, qui perpétue entre Rita Hayworth et Julianne Moore la tradition des sublimes rousses du 7ème art), il la kidnappe et la séquestre dans sa cave. Entre le jeune homme maladivement frustré et sa séduisante victime se noue une relation vénéneuse que le cinéaste va ausculter pendant près de deux heures. Alors que Miranda tente tous les moyens pour s’enfuir (les menaces, la force, la séduction…), Freddie lutte à la fois contre ses désirs érotiques (il se montre toujours très respectueux et serviable envers son « invitée ») tout en cherchant à se faire aimer.

La force du film de Wyler, qui adapte pour l’occasion un roman de John Fowles que je ne connais pas, c’est de parvenir à offrir à travers cette situation extrême une vision contrastée et ambiguë de la nature humaine. Freddie n’aurait pu être qu’un banal psychopathe (à l’instar de l’infirmière de Misery de Reiner) mais c’est un être profondément trouble et ambivalent, quelque part entre un petit garçon n’ayant pas résolu son Œdipe et un adulte profondément touchant car profondément asocial (un flash-back le montre au bureau alors que tous ses collègues se moquent de lui et de sa passion pour les papillons).

De l’amour, il ne peut être qu’un simple spectateur. C’est pour cette raison qu’il agit avec Miranda comme avec ces papillons qu’il naturalise : il se l’approprie pour en conserver la beauté « sous verre ». Un plan très significatif nous montre le visage de la jeune femme se reflétant sur la surface d’un sous-verre contenant ses collections : elle est prisonnière de cet homme comme le sont ces insectes. 

Terence Stamp, le futur ange du Théorème de Pasolini, est génial dans ce rôle de jeune homme refoulé, à la fois très « propre sur lui » et agité de toute part par les pulsions qui l’habitent. La séquence magnifique où il laisse Miranda prendre son bain est très caractéristique du personnage : il lui promet d’abord de respecter son intimité mais il se précipite dans la salle de bain lorsque arrive inopinément un voisin. Le montage phobique de Wyler (en ce sens qu’il « colle » davantage les plans qu’il les raccorde) répond à la fois à une nécessité d’ordre pratique (interdiction de montrer la nudité dans des films  mainstream) tout en traduisant à la fois l’état mental du personnage tiraillé entre son désir de posséder cette chair et de bâillonner le plus rapidement possible sa victime pour qu’elle n’alerte pas le voisin.  

Quant à Miranda, elle reste constamment partagée entre le dégoût que lui procure cet homme incapable de concevoir l’amour et la beauté autrement que comme une chose à posséder et une certaine compassion devant toute la détresse qu’elle devine en lui.

On ne parlera pas ici de « Syndrome de Stockholm » (Almodovar en avait donné une belle illustration dans le très beau Attache-moi) mais d’un trouble permanent qui subsiste entre le bourreau et sa victime. Cela se traduit par une scène d’étreinte, très sage par rapport à ce que l’on peut voir aujourd’hui, mais qui a du sembler terriblement osé à l’époque.

S’agit-il juste d’une manœuvre de Miranda pour s’enfuir ? Peut-être mais toujours est-il qu’il se dégage de la scène une émotion érotique redoublée par le fait que Freddie interrompt brutalement l’étreinte. Il prétexte avoir deviné que sa partenaire fait semblant mais Wyler filme ce moment comme une véritable éjaculation précoce et parvient encore une fois a suggérer la phobie de son personnage quant au sexe et au rapport à l’Autre.

 

En ce recentrant sur une intrigue qui ne compte pratiquement que deux personnages dans un seul lieu, Wyler parvient paradoxalement à rendre sa mise en scène incroyablement vivante et beaucoup moins sage que ce à quoi il nous avait habitué. Il ose certains décadrages, certaines perspectives obliques qui traduisent à merveille le point de vue perverti de son « héros ». Certaines séquences dans la cave rappellent même l’ambiance gothique des films de la Hammer.

Inversement, L’obsédé annonce également tout un pan du cinéma « moderne » centré sur le rapport ambigu à l’altérité et sur le délitement des sentiments humains.

Un seul bémol peut-être : la fin que je ne révèlerai pas mais qui semble montrer que Freddie n’est finalement qu’un parfait psychopathe. Nul doute qu’il l’est mais ce qu’il y a de beau dans L’obsédé, c’est de voir que ce « monstre » possède aussi une figure incroyablement humaine

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