Les images secondent : Bréviaire II (2012) de Ludovic Maubreuil (Editions Alexipharmaque. Collection : Les réflexives. 2012)

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Les textes qui se trouvent rassemblés dans Les images secondent ne sont,  pour la plupart, pas inédits. On a déjà pu les lire dans la revue Eléments, sur divers sites (Causeur, Kinok…) ou encore sur le blog Cinématique (assurément l’un des mieux écrits de la « blogosphère » cinéphile) que Ludovic Maubreuil tient à jour régulièrement. Mais relire cet ensemble de texte qui oscille entre l’aphorisme, le billet d’humeur lapidaire, l’analyse cinglante d’ironie et de douces chroniques pointillistes et intimes permet de voir se dessiner les contours d’une des pensées de cinéma les plus stimulantes et les plus passionnantes du moment.

Si Ludovic Maubreuil a une très noble idée de l’Art en général (influencé, entre autres, par la philosophie de Raymond Abellio) et du cinéma en particulier ; sa force principale est de n’appartenir à aucune « chapelle » cinéphile et de toujours rester fidèle à cette « idée » sans jamais céder aux sirènes de la mode et des idéologies dominantes. A l’entrée « cinéphilie » de cet essai construit sous la forme d’un abécédaire, voilà ce qu’écrit avec une rare justesse l’auteur :


« La passion cinéphile n’a que deux issues, également redoutables : l’égarement parmi les formes ou la stricte réduction de celles-ci, la souffrance d’une beauté dénuée de sens contre celle d’une vérité sans poésie ».


A l’opposition finalement stérile entre les tenants de « la mise en scène avant tout » et les zélateurs du « bon scénario » comme condition sine qua non de la réussite d’un film ; Ludovic Maubreuil préfère une troisième fois salutaire qui passe d’abord par une éthique du regard (comme il le rappelle fort justement, ce n’est pas le film qui est « affaire de morale » mais c’est au spectateur d’acquérir une certaine « discipline » de l’œil pour ne pas se laisser berner par les images relevant de la publicité, de l’idéologie, du marché : bref, de la propagande).

A la rubrique « contemplation », on peut également trouver cette analyse pénétrante, ce genre d’aphorismes que l’on garde longtemps en tête et qui peut permettre de se construire sa propre vision du cinéma :


« Devant un film, il faudrait à parvenir à penser non pas malgré les images (comme le font les idéologues en se servant du cinéma sans jamais se confronter à la puissance de ses mythes), non pas sous leur régime exclusif (comme le Marché le programme chaque jour davantage) mais en atteignant une sorte de compréhension sereine : la contemplation active). »


Ludovic Maubreuil, et c’est tout son mérite, parvient toujours à naviguer dans un « entre-deux » sans jamais perdre son fil directeur. Les fidèles de son blog (j’en suis !) connaissent son talent inouï pour relier deux œuvres, deux images qui, a priori, n’ont rien à voir pour parvenir à un éclairage inédit et toujours incroyablement pertinent des films. Eh bien c’est cet art que l’on retrouve avec bonheur dans Les images secondent : cette capacité à louer les grands inventeurs de forme (Carax, Malick, De Palma, Fassbinder ou encore Kubrick dont l’œuvre est synthétisée d’une manière admirable le temps d’un fabuleux acrostiche) tout en n’étant pas dupe des petits malins qui drapent l’idéologie de l’époque derrière un certain formalisme (Klotz, Des Pallières ou une critique bien sévère de l’Apollonide de Bonello).

De la même manière, il parvient à montrer précisément le grand travail de « mise en scène » de cinéastes plutôt réputés pour leur travail scénaristique (Pascal Thomas, Mouret, Podalydès ou encore Guédiguian) et ne rechigne pas à louer des petits maîtres du cinéma de genre (je ne crois jamais avoir lu, dans la presse « officielle », des textes aussi beaux et justes sur Argento ou Jean Rollin).


Fidèle à des penseurs aussi importants que Philippe Muray et Jean Baudrillard ; Ludovic Maubreuil est assurément un « antimoderne » (ce que les imbéciles incapables de penser hors des schémas traditionnels des idéologies et du Marché taxeront sans doute de « réactionnaire ») mais il n’est en aucun cas un  nostalgique du « bon vieux temps perdu ». A travers une écriture drôle (il manie l’ironie avec énormément de talent) sensible et d’une rare précision (il faudrait aussi évoquer la beauté bouleversante de ces textes introspectifs, intimistes et mélancoliques où l’auteur s’adresse à sa fille ou se laisse guider sur le fil de ses souvenirs) ; Ludovic Maubreuil nous offre une vision « claire » d’un cinéma que nous pourrions continuer d’habiter lorsqu’il aura été dépouillé de ses oripeaux à la mode (voir la manière dont il est capable de démontrer comment de « mauvais » films mal accueillis par la presse comme Les petits mouchoirs de Canet ou Planète terreur de Rodriguez sont finalement plus intéressants que certaines œuvres estampillées « cinéma d’auteur » par ce qu’ils révèlent de notre temps) et de l’étouffante emprise des slogans et des idéologies de l’époque.


« Il faut réapprendre à fermer les yeux »…

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