L'écran de l'amour : Cinéma et érotisme (1990) de Martine Boyer (Plon. 1990)

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Nous parlions hier du monumental Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques de Christophe Bier et c'est d'une des collaboratrices de cette œuvre dont nous allons parler aujourd'hui. Martine Boyer (qui signa la plupart de ses articles sous le pseudonyme de Britt Nini) est l'une des rares femmes à s'être intéressée aux marges du cinéma, y compris les enfers du X. Titulaire d'une thèse en sciences sociales sur les Stratégies érotiques dans le cinéma, elle a publié en 1990 cet essai consacré au cinéma porno mais, de manière plus générale, à une certaine idée de « l'amour » au cinéma.

 

Précisons tout de suite que l'approche de Martine Boyer n'est pas esthétique (on constatera d'ailleurs qu'elle cite, finalement, assez peu de films) mais sociologique et, si le mot n'est pas encore totalement galvaudé, politique. Ce qui l'intéresse dans le phénomène porno, c'est la manière qu'il a eu de s'inviter au cœur de la société française et d'être le reflet de nouvelles normes en matière d'amour et de rapport au corps. Pour l'auteur, ce déferlement d'érotisme qui débute timidement à l'orée des années 60 et explose véritablement après 68 marque l'arrivée sur les écrans du désir de toute une génération de réinventer l'amour et de le vivre autrement.

 

Martine Boyer commence d'abord par un petit panorama historique succinct, examinant comment cet art forain que fut d'abord le cinéma devint peu à peu respectable en occultant la question du corps pour se consacrer essentiellement à la langue, aux mots. Venu du cirque, le cinéma lorgnait désormais vers la respectabilité et le théâtre. Elle montre ensuite comment Hollywood, par son star-système, va peu à peu faire resurgir ce qu'elle nomme « l'animalité ». A travers des figures comme Brando, James Dean et, surtout, Marilyn Monroe, c'est le grand retour des corps à l'écran et de l'animalité du désir :

 

« Ces bêtes splendides ne jouent pas, en effet, la comédie : elles promotionnent le désir – le leur et celui qu'elles impulsent- comme trame même du récit. »

 

Par la suite, Boyer met en parallèle l'émergence d'un cinéma « sexy » un peu partout dans le monde : en France, les « nudies » aux Etats-Unis, les films de music-hall italiens (qu'elle confond d'ailleurs un peu avec les « mondo ») et les films de « docteurs allemands ». Une fois de plus, c'est le corps libéré de toute contrainte qui prend l'ascendant sur le récit et les rôles bien assignés. En ce sens, l'auteur a parfaitement raison de souligner l'importance de la « Nouvelle Vague » (pourtant assez prude) dans cette émancipation des corps puisque la « star » comme on l'a connue disparaît au profit de corps singuliers et de plus en plus libérés.

 

Enfin, une grande partie de l'essai est consacré à une réflexion sur le cinéma pornographique et érotique, à travers ses figures et les tracas qu'il a connus (les distinctions qu'elle pointe entre le soft et le hard peuvent paraître assez évidentes mais elles lui permettent d'ouvrir des perspectives intéressantes d'un point de vue sociologique). Du corps dénudé au corps pénétré, Boyer montre avec une certaine perspicacité comment ce déchaînement du désir et du sexe a pu refléter, à une époque donnée, les aspirations de toute une génération. Loin des clichés des idéologues féministes qui voient dans le porno l'expression de la soumission totale de la femme ; l'auteur montre comment le genre, avant qu'il ne soit confiné dans un ghetto sordide et récupéré par les marchands, a pu constituer une espèce de joyeuse utopie où le corps libéré apprenait de manière radicale une sorte de démocratisation totale par le sexe et l'amour.

 

« Dans cette année 1975, le droit à l'avortement et la pilule créent une ambiance de flottement inédit ou toute une génération manifeste et savoure dans le plaisir des conquêtes acquises de haute lutte. On respire. On croit sortir de la gangue de la sexualité bourgeoise. Le discours freudien aidant, l'amour ne connaît pas de loi... »

 

Même si, très rapidement, la « Nouvelle Vertu » reprendra ses droits, cette « explosion » pornographique a eu une signification profonde dans la France des années 70, à la fois aboutissement logique de Mai 68 (traduire à l'écran l'utopie vécue dans la rue) et, en même temps, ses impasses : la récupération marchande, la crispation idéologique et le retour d'un certain « ordre sexuel ».

 

La partie la plus faible de cet essai revigorant (c'est ma seule réserve) arrive au moment des conclusions. Martine Boyer écrit son livre à la fin des années 80, lorsque triomphe le « Visuel » asexué des Lucas, Besson et Beineix et que l'industrie du porno décline inexorablement grâce à l'arrivée du marché de la vidéo.

Du coup, elle constate une disparition des corps assez inexacte dans la mesure où cette question reviendra en force, mais plus du côté du cinéma d'auteur (un peu négligé, convenons-en, par l'essayiste alors que ces questions du sexe et de l'amour ont également été primordiales de ce côté).

 

C'est donc chez des gens comme Dumont, Brisseau, Breillat ou Lars Von Trier (pour ne citer que les plus fameux) que va revenir la question du corps, du sexe à l'écran et des limites de la représentation.

Simple mode ou nouveaux reflets des générations ? A un sociologue (aussi calé en cinéma que Martine Boyer, évidemment) de nous le dire...

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