Le feu follet (1963) de Louis Malle avec Maurice Ronet, Alexandra Stewart, Jeanne Moreau

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Jeune cinéphile, j’ai cherché à découvrir avidement le cinéma de Louis Malle que je considérais alors comme l’un des grands noms de cette « Nouvelle Vague » qui me fascinait tant. Et j’avoue avoir été très sensible à des films comme Ascenseur pour l’échafaud, Le souffle au cœur (tourné en Bourgogne) ou même le controversé Lacombe Lucien. Peu à peu, la flamme s’est affaiblie et indépendamment même des films que je n’ai pas aimés du tout (Vie privée, Fatale, Atlantic city…), c’est l’œuvre entière du cinéaste qui m’est devenue indifférente, symbole d’un classicisme assez élégant mais un poil désuet (Au revoir les enfants, La petite…).

Paradoxalement, Le feu follet est le seul que j’ai toujours eu envie de revoir alors qu’il m’avait plutôt échappé lorsque je l’ai découvert à 20 ans. Comment d’ailleurs s’identifier à ce séducteur sur le retour, las de la vie et terrorisé à l’idée de devenir « adulte » (comme le chantait Brel, il faudrait toujours devenir vieux sans devenir adulte !) lorsqu’on a 20 ans ?

Le revoir aujourd’hui, c’est confirmer ce que beaucoup de critiques ont déjà écrit : Le feu follet est assurément, et de très loin, le meilleur film de Louis Malle qui parvient ici à trouver un équilibre entre divers styles et écritures cinématographiques.

Adapté (je n’apprendrai rien à personne !) d’un court et magnifique roman de Drieu la Rochelle, Le feu follet s’inscrit d’emblée dans une certaine tradition « littéraire » du cinéma français en suivant les traces d’Alain Leroy, dandy désargenté et suicidaire, qui décide par nihilisme de mettre fin à ses jours. Mais Malle parvient à déjouer les pièges de l’adaptation trop fabriquée en inscrivant son œuvre dans son époque. Le parcours de son personnage lui permet de décrire avec beaucoup de justesse une certaine bohème parisienne, mondaine et frivole, qui rappelle d’ailleurs certains films de Chabrol période Paul Gégauff.

Lorsque Malle filme la rencontre d’Alain et de ses amis de l’OAS (on reconnaît d’ailleurs Romain Bouteille), il réinscrit l’apolitisme nihiliste du héros de Drieu dans un contexte contemporain. Car la seule conviction qu’il porte en lui, c’est que le temps passe, que les rêves de sa jeunesse s’évanouissent et que ses amis trouvent peu à peu leur place dans un monde absurde qui ne veut pas de lui (et vice-versa).

Pour filmer cette dérive existentielle (on est parfois proche d’Antonioni) et tragique ; Malle parvient également à concilier un certain « classicisme » de la forme (dans la narration, le montage, la belle photographie noir et blanc de Ghislain Coquet…) et les apports de la Nouvelle Vague. Alain déambule dans Paris comme pouvait le faire Poiccard dans A bout de souffle et le cinéaste parvient assez subtilement à traduire son état de désarroi grâce aux décors naturels (ce beau plan où il se retrouve perdu au milieu de la circulation parisienne ou dans ce magnifique extrait que je joins en fin de note), soit par un montage parfois un peu plus inventif (cette série de  jump cut lors de la dernière soirée où Alain explique pourquoi il est alcoolique : le bout à bout de ces plans non « raccords » finit par créer la sensation que le personnage chavire complètement et qu’il arrive au bout).

Et puis il y a Maurice Ronet dans le rôle titre, acteur époustouflant  qui parvient à donner une incroyable intensité au personnage d’Alain qui sort d’une cure de désintoxication pour se diriger vers le suicide. Il y a dans le regard de cet homme élégant une douleur de vivre permanente, une lassitude devant son incapacité à s’attacher à une femme et à trouver un sens à ce monde de pantins qui s’agitent inutilement alors que c’est à la même fin qui les attend tous. « La vie ne va pas assez vite alors je l’accélère » dit, en substance, ce « mort en permission » qui ne croit plus en rien. L’acteur fait tellement corps avec le personnage qu’il en est bouleversant.

A cela s’ajoute la magnifique musique d’Erik Satie qui accompagne mélancoliquement ce chemin inéluctable vers la mort. Nous avons tous en mémoire la musique que Miles Davis improvisa devant les images d’Ascenseur pour l’échafaud. Celle de Satie est aussi inoubliable dans Le feu follet, contrepoint funèbre aux images de Malle qui parvient à traduire avec une densité déchirante ce que peut-être le tragique de la condition humaine face à un monde ayant perdu sa signification et où la vie n’est plus qu’une épuisante course sans but…


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