Le livre noir (1949) de Anthony Mann avec Robert Cummings, Richard Basehart, Arnold Moss (Editions Artus Films)

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La Révolution française vue par un cinéaste hollywoodien : voilà qui risque de faire bondir les historiens tatillons adeptes de la « véracité historique ». Or autant prévenir d'emblée l'éventuel spectateur du Livre noir : c'est un film qui ferait passer Inglorious basterds de Tarantino pour une œuvre historique validée par l'école des Annales !

Immense metteur en scène mais surtout reconnu pour ses magnifiques westerns avec James Stewart (Winchester 73, L’appât...), Anthony Mann signe ici une fantaisie historique mineure mais assez réjouissante.

 

En 1794, la France subit le règne de la Terreur et Robespierre s’apprête à devenir dictateur. Semant le trouble au sein de la Convention, il consigne dans un « carnet noir » le nom des prochaines victimes (ennemis ou anciens alliés promis au même sort que Danton) de la guillotine. Un envoyé de La Fayette, Charles d'Aubigny (Robert Cummings), cherche à s'infiltrer dans son entourage et à mettre la main sur ce fameux « livre noir »...

 

Si le film prend comme toile de fond l'un des épisodes les plus controversés de l'épisode révolutionnaire (beaucoup d'historiens contemporains réhabilitent aujourd'hui « la Terreur »), il séduit surtout par sa manière d'affecter à la fantaisie historique les codes du film noir. Le fameux « livre noir » (qui annonce d'une certaine manière le Maccarthysme) fait figure de MacGuffin hitchcockien permettant au cinéaste de déployer une mise en scène sèche et vigoureuse. Nous aurons donc droit à des courses-poursuites rondement menées, des quiproquos pleins de suspense (lorsque la femme de Duval risque de confondre D'Aubigny qui usurpe son identité) et de nombreux rebondissements entraînés par diverses traîtrises, fausses identités et luttes permanentes pour la survie (très belle séquence où le héros et sa dulcinée tente d'échapper aux hommes de Saint-Just tout en cherchant à récupérer le livre noir oublié sur un canapé).

 

Le film séduit également par son côté feuilletonesque absolument étranger à toute idée de « vérité historique ». Robespierre est un véritable « méchant » de film noir, tyran sans scrupule qui n'hésite pas à recourir à la torture dans des pièces sombres et isolées. Saint-Just apparaît comme un bras droit obséquieux et coureur de jupons tandis que Fouché (prononcez « Fouchaiii ») est la caricature même du fourbe toujours prêt à trahir ou à vous enfoncer un poignard dans le dos (Robespierre ne supporte pas qu'il l'appelle "Max")...

 

A côté de cela, Le livre noir est un film très bien ficelé malgré des moyens somme toute modestes. Épaulé par un grand chef-opérateur (Jon Alton, qui travailla aussi bien pour Allan Dwan et Richard Brooks que pour Minnelli -Un américain à Paris, c'est lui-!) et une direction artistique impeccable (un petit coup de chapeau à William Cameron Menzies qui produisit également le film) ; Anthony Mann donne à ses images une véritable puissance expressionniste (la séquence d'ouverture, avec quelques gros plans et un jeu de surimpressions, est impressionnante) et son sens du cadre fait toujours mouche (la plongée qui révèle à la fois le couple qui se cache dans une grange et les soldats qui le recherchent en contrebas donne au plan une réelle intensité).

Jouant à merveille des décors (prisons, pièces dérobées, ferme isolée...), il parvient à créer une atmosphère étouffante qui, une fois de plus, rappelle l'univers du film noir où il s'est illustré autrefois.

 

Ajoutons à cela une petite pointe d'humour (comment résister à ce final où un badaud s'adresse à une silhouette vue de dos qui répond, lorsqu'on lui demande son nom, à la manière de James Bond : « My name is Bonaparte... Napoléon Bonaparte »!) et on aura compris que si Le livre noir n'est pas un film majeur dans la carrière de Mann, c'est néanmoins une excellente série B qu'on découvre avec grand plaisir...

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