Le tueur sentimental
Le tueur de Boston (1964) de Burt Topper avec Victor Buono (Editions Artus Films)
Lorsque Burt Topper (un nom qui n'aura pas laissé beaucoup de traces dans l'histoire du cinéma) entreprend la réalisation de The strangler en 1964 (quatre ans avant le célèbre Étrangleur de Boston de Richard Fleischer) ; Albert DeSalvo (le véritable tueur en série connu sous le nom « d'étrangleur de Boston ») vient d'être arrêté.
Le temps d'un bonus passionnant, Stéphane Bourgoin nous explique que le cinéaste a beau ne jamais citer la ville de Boston ou se référer à l'enquête, son tueur schizophrène (joué par l'étonnant Victor Buono) partage de nombreux traits communs avec le fameux criminel.
L'intérêt de cette série B d'une excellente tenue vient d'ailleurs de là : non pas tant de l'enquête policière à proprement parler (le spectateur identifie d'emblée l'assassin) que de cette manière qu'a le cinéaste de dessiner une personnalité extrêmement compliquée et ambiguë.
Laborantin obèse et étouffée par une mère possessive et manipulatrice, Léo Kroll profite de ses nuits pour aller étrangler de jolies infirmières. Un seul indice pour la police : l'homme utilise les bas nylons de ses victimes comme arme du crime et il semble obéir à un même rituel (il va même jusqu'à leur fermer les yeux).
Après une scène d'ouverture assez étonnante (la première victime est vue en reflet dans l’œil du tueur pendant qu'elle se déshabille), Topper va s'intéresser à la dimension psychanalytique de son personnage. D'une manière très moderne, il donne aux crimes à répétition de Kroll un caractère éminemment sexuel. Le tueur de Boston est d'abord le récit d'une frustration : celle d'un homme au physique ingrat, totalement soumis à une figure de mère tyrannique qui l'empêche d'avoir une relation normale avec les femmes.
De l'autre, chaque crime est l'occasion d'un rituel fétichiste : Kroll tue les femmes puis déshabille des poupées qu'il collectionne. Ses pulsions morbides et refoulées trouvent un réceptacle symbolique chez ces pantins qu'il désarticule. On pense d'ailleurs un peu à Bava et à ses mannequins dans 6 femmes pour l'assassin.
Si les flics nous précisent qu'il n'y a pas eu viol au moment des crimes, les images nous disent autre chose et le jeu puissant de Buono accentue cette ambiguïté. L'acteur joue fort bien d'une certaine douceur dans son visage (ses yeux clair et sa rondeur lui donnent une espèce de bonhomie) qui contraste soudain avec la folie qui passe dans son regard par moment.
Très habilement, le cinéaste filme ses meurtres comme de véritables orgasmes où on le voit s'agiter, se contracter sous l'effet de spasmes et suer à grosses gouttes. Là encore, tout est suggéré mais la métonymie est évidente.
Toutes proportions gardées, Le tueur de Boston évoque aussi le Psychose d'Hitchcock. Comme le maître, Topper cultive un certain sens du suspense (la dernière séquence est très réussie) et sait peaufiner avec maestria un personnage de psychopathe enfermé dans ses névroses avec beaucoup de talent. Après, il faut reconnaître que la mise en scène est plutôt classique et vise à l'efficacité (même si certains raccords, certaines idées, notamment avec les poupées- sont plutôt habiles) et que le film souffre d'un manque de moyen évident (les décors sont assez pauvres).
Mais ces réserves posées, il s'agit là d'une excellente série B et d'une jolie découverte que nous offrent une fois de plus les excellentes éditions Artus...
En supplément.
Si la présentation du film par Stéphane Bourgoin est pertinente et apporte quelques informations intéressantes sur le générique de l’œuvre, nous sommes davantage convaincu par le récit qu'il fait de la véritable histoire d'Albert DeSalvo. Spécialiste des tueurs en séries, l'auteur a interviewé le criminel et nous relate avec force détails les dessous d'une histoire particulièrement macabre. C'est à la fois éprouvant et fascinant...