Le vert paradis des amours enfantines
Moonrise kingdom (2012) de Wes Anderson avec Bruce Willis, Edward Norton, Bill Murray
Si l'on devait réduire Moonrise kingdom à une figure de style, ça serait celle du travelling latéral. Dès les premiers plans de son film, Wes Anderson nous installe au cœur de son univers par d'incessants mouvements de caméra qui balaient l'espace de gauche à droite (le plus souvent), parfois de haut en bas ou de bas en haut. Ce parti-pris donne immédiatement au spectateur la sensation qu'il est en train de tourner les pages d'un beau livre d'images (Moonrise kingdom est un nouveau conte d'Anderson) ou une bande-dessinée. C'est d'ailleurs souvent sur ce point précis que le bât blesse chez ce cinéaste : s'il possède un talent indéniable pour croquer de savoureuses saynètes décalées et mélancoliques, son « esthétique de la vignette » a pu parfois nous paraître un peu vaine et maniérée autrefois (c'est également le problème majeur du cinéma de Gondry).
Moonrise kingdom est donc, après Fantastic Mr Fox, un nouveau conte. L'histoire d'un scout âgé de 12 ans (Sam) qui s'enfuit de son camp d'été pour retrouver sa dulcinée Suzy. Leur fugue au cœur d'une île de la Nouvelle-Angleterre va donner lieu à de multiples rebondissements (avec ça, vous êtes bien avancés !) et permettre à Anderson de broder une fois de plus autour de ses thèmes de prédilection. Une fois de plus, il met en scène deux personnages qui tentent d'exister en-dehors des liens étouffants de la famille. Pour Sam, c'est l'absence de parents (il est orphelin) qui est problématique et qui lui vaut d'être marginalisé. A travers son parcours initiatique, il cherchera à retrouver une famille d'adoption. Suzy est ce qu'on appelle vulgairement un enfant « à problèmes » et elle souffre de ne pas exister à la maison, entre des parents fatigués (Bill Murray et Frances McDormand) et des petits frères turbulents.
Chez Wes Anderson, les adultes se comportent souvent comme des enfants (Cf. Le père immature de La vie aquatique). Ici, ce sont les enfants qui jouent aux adultes. Et c'est ce léger renversement de perspective qui fait que Moonrise kingdom est sans doute le film le plus abouti et le plus séduisant du cinéaste. Si l'on retrouve tout ce qui fait le charme de son cinéma (l'humour décalé, les gags insolites comme celui de la cabane construite en hauteur, une certaine douceur mélancolique...), on évite également ce qui en faisait les limites (un côté un peu étriqué). Sa force, c'est de plonger au cœur même de l'enfance et de montrer avec beaucoup de finesse le sérieux des jeux d'enfants. Wes Anderson n'a jamais été un cinéaste « réaliste » mais ici, sa fantaisie trouve une espèce de justification si on considère que tout le récit est tourné « à hauteur d'enfant ».
Moonrise kingdom est un jeu de scouts qui se transforme en film d'aventures hollywoodien par le seul pouvoir de la croyance. A tel point que le danger peut réellement surgir et les sentiments faire mal. Le cinéaste met ainsi en berne son côté « petit malin » et parvient même à nous émouvoir en nous faisant écouter un titre yé-yé rétro (Le temps de l'amour de Françoise Hardy). Du coup, les vignettes du cinéaste sur lesquelles glisse le regard du spectateur (effet recherché par les travellings, suivez un peu !) prennent une certaine profondeur et dépassent le côté anecdotiques de l'intrigue.
Pour la première fois (mais il faudrait que je revois Rushmore et La famille Tenenbaum), Anderson parvient à trouver le ton juste entre une certaine désinvolture (en surface) et une véritable profondeur. Mais cette profondeur n'a rien d'emphatique (il ne s'agit pas de trouver le sens de l'existence ou d'embrasser une fois pour toute le problème de la famille). Avec beaucoup de légèreté, il parvient à nous replonger dans l'univers de l'enfance et ces instants privilégiés où tout semble brûler plus vite.
A l'inverse de tous les adultes fatigués et revenus de tout (y compris de l'amour), Sam et Suzy réinventent un temps béni (le temps des copains, de l'amour et de l'aventure) où tout est vécu avec plus d'intensité et de passion.
Le résultat est un film fin qui parvient à nous faire sourire et à nous toucher. Qui s'en plaindra?
Un beau dessin signé Boulet