Les garçons de la bande (1970) de William Friedkin avec Kenneth Nelson, Frederik Combs (Éditions Carlotta). Sortie le 20 février 2013

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Avant de devenir un film, Les garçons de la bande fut un succès aussi immense qu'inattendu à Broadway. Inattendu car la pièce de Mart Crowley ne comporte que des rôles masculins et s'avère ouvertement « gay ». C'est donc avec une certaine surprise que l'on retrouve aux commandes de l'adaptation cinématographique William Friedkin. Même si le cinéaste plongera à nouveau dans les milieux homos par la suite (le médiocre Cruising), on le connaît davantage pour ses films d'action musclés (French connection) ou ses films d'horreur (le mythique L'exorciste, le plus méconnu La nurse).

 

Malgré les apparences, Les garçons de la bande est un film qui trouve sa place tout naturellement dans l’œuvre de Friedkin et qui annonce déjà certains « thèmes » de ses films suivants.

L'histoire est toute simple : Michael, homosexuel cynique et surendetté, invite une bande d'amis pour fêter l'anniversaire d'Harold. Mais les choses se compliquent lorsque débarque Alan, un ami proche de Michael qui ignore son homosexualité et qui se retrouve au milieu de ces convives excentriques tandis qu'Harold se fait attendre...

 

Pour être tout à fait honnête, le début du film fait un peu peur. Friedkin commence par « aérer » la pièce et s'amuse à donner un aperçu de l'air du temps dans l'Upper East Side à la fin des années 60. Les personnages sont saisis sur le vif, la caméra virevolte et le cadre est très lumineux. La vivacité du filmage compense un peu l'extrême caractérisation des personnages qui frise parfois la caricature. Dans cette bande de garçon, il y aura la folle exubérante (Emory) à qui échoue la plupart du temps la dimension comique du film, le dandy précieux et sardonique (Michael), l'homosexuel névrosé (Donald), le noir (Bernard), celui qui assume son appétit sexuel (Larry) et son amant qui ne parvient pas à quitter son épouse (Hank).

Lorsque débute vraiment le film (au moment où Friedkin s'en tient à la règle des trois unités -de lieu, de temps et d'action- théâtrales), on réalise que Les garçons de la bande va se fondre dans le canevas classique du film de « bande » et que les retrouvailles, joyeuses au départ, vont tourner au drame lorsque les masques finiront par tomber.

 

Et pourtant, sans être un grand chef-d’œuvre (on peut déplorer ça et là quelques longueurs), quelque chose prend et l'ensemble fonctionne plutôt bien. Peut-être parce qu'on pressent déjà dans Les garçons de la bande quelques obsessions de Friedkin. La première, c'est le huis-clos et cette manière qu'il a de s'épanouir dans des espaces confinés et uniques (Cf. L'exorciste ou le beau Bug). La deuxième, qui me paraît encore plus intéressante, est l'arrivée d'un corps « étranger » dans une communauté donnée. Ce corps étranger peut être aussi bien le Diable (L'exorciste, La nurse) qu'une vision plus abstraite du Mal (Bug). Cela peut aussi être la plongée d'un flic dans un univers interlope (Cruising) ou, comme ici, l'arrivé d'un hétéro (Alan) dans cette communauté homosexuelle.

L'arrivée d'Alan cristallise les tensions et suscite le malaise. C'est lui qui provoque une bagarre (avec Emory) et fait tourner l'ambiance de la soirée. Plus le film avancera et plus il deviendra sombre (à tous les sens du terme). Mais ce qu'il y a d'intéressant, c'est la porosité qu'il peut exister entre Alan et ce monde. Ce que je n'aime pas dans Cruising, c'est qu'il n'y a jamais chez Pacino (qui incarne le flic infiltré) de fascination pour le monde qu'il fréquente mais une sorte de dégoût qui l'empêche de faire un pas de côté. Ici, Alan est sans doute un « pédé refoulé » (comme lui dit Michael) même s'il ne franchira jamais la « ligne ». Friedkin joue parfaitement de cette ambiguïté et laisse certains points en suspension (pourquoi Alan a débarqué dans cette soirée en pleurant ?).

Faire que l'hétéro finisse par franchir le cap aurait été trop facile et nous aurions eu droit à un banal récit d'apprentissage. Dans le film tel qu'il est, la différenciation reste très marquée avec ce que cela suppose cependant de trouble et de fascination.

 

Si la trame du récit est relativement classique (on a vu ça plus ou moins bien dans des films comme Mes meilleurs copains de Poiré ou le très médiocre Peter's friends de Branagh), Friedkin parvient à saisir les zones d'ombre de la pièce et ses ambiguïtés et à les traduire de manière cinématographique. Lorsque le récit devient plus dramatique, l'image s'assombrit et un orage violent donne aux scènes une atmosphère de drame gothique. Les trombes d'eau qui tombent derrière les vitres de l'appartement deviennent le symbole même des coups de tonnerre qui éclatent entre chaque personnage. Et même ceux que l'on pensait d'abord être les plus caricaturaux (Emory) révèlent une part de leur humanité.

 

Loin des films revendicatifs et communautaristes, Les garçons de la bande est une œuvre assez atypique dont le propos ne se limite pas à la question homosexuelle mais s'avère, au bout du compte, assez universel....

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