Un été brûlant (2010) de Philippe Garrel avec Louis Garrel, Monica Bellucci, Céline Sallette, Vincent Macaigne, Maurice Garrel

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Il ne faut pas plus de trois ou quatre plans à Philippe Garrel pour faire naître l’émotion. Un plan de Louis Garrel désemparé, perdu puis un deuxième de Monica Bellucci allongée nue, baignant dans une lumière à la Georges de la Tour, et enfin un retour à Garrel junior en larmes. Ainsi débute Un été brûlant où cette image sublime d’une odalisque semblant venir de nulle part éclaire immédiatement les enjeux du film de Garrel : faire revenir au présent l’image d’une femme aimée et perdue.

Dans la magnifique monographie consacrée à Garrel à l’occasion de la rétrospective qui a eu lieu cette année à Bobigny (je vous en parlerai prochainement), Thierry Jousse avance une hypothèse très séduisante pour caractériser les « deux » périodes de l’œuvre du cinéaste. Plutôt que de scinder artificiellement une partie « expérimentale » et « non narrative » (cette période qualifiée d’ « autiste » par les détracteurs du cinéaste) et une partie narrative et plus ancrée dans des récits traditionnels ; le critique compare Garrel « première période » à l’apôtre Jean, l’homme des visions, pour l’opposer ensuite à Paul, « l’homme du sens, le scribe qui doit écrire le récit… ».

Un été brûlant poursuivrait donc la veine « paulinienne » de Garrel : après les « visions » des années 70 où les muses étaient filmées dans leur époque et leur mal-être (Nico, Jean Seberg dans Les hautes solitudes…), il s’agit désormais de raconter cette époque, de faire revivre ces figures disparues. L’avantage de cette distinction Jean/Paul, c’est qu’elle évite les périodes trop grossièrement délimitées et qu’au sein de récits désormais plus structurés, rien n’empêche les « visions » comme autrefois. Songeons aux apparitions bouleversantes du fantôme de Laura Smet dans le très sous-estimé La frontière de l’aube.

Depuis qu’il travaille ses scénarios avec l’écrivain Marc Cholodenko, Garrel procède toujours de la même manière, à partir d’un substrat autobiographique qu’il transcende par un désir de romanesque, même « minimaliste ». Pour Un été brûlant, il s’inspire bien évidemment de son amitié avec le peintre Frédéric Pardo et de son histoire d’amour avec la comédienne Tina Aumont. Mais ce récit est transposé à notre époque sans que les repères temporels soient très marqués (une seule fois nous verrons un téléphone portable).

Paul, comédien qui tente de percer dans le cinéma, se souvient de son ami Frédéric (Louis Garrel), peintre vivant à Rome avec Angèle, une très belle actrice italienne. Le temps d’un été, en compagnie de son amie Elisabeth, il va assister à sa rupture et à sa « chute »…

Tous les motifs qui font les plus belles pages de ce « journal intime » entamé depuis plusieurs décennies (remontons à L’enfant secret pour fixer ce moment où Garrel ne « vit » plus les évènements mais les raconte) se retrouvent dans Un été brûlant : la tentation du suicide, le couple et ses difficultés, le désir d’enfant, la filiation et la transmission… La dimension inédite de ce dernier opus à ce jour est peut-être la part belle qu’il fait à l’amitié. Le cinéaste filme avec beaucoup de délicatesse ce que peuvent être les sentiments amicaux, ce qui les distingue du sentiment amoureux mais également les problèmes qu’ils peuvent provoquer : Elisabeth reproche à Paul de s’occuper davantage de son ami que d’elle, par exemple. De la même manière, des liens se sont tissés entre Angèle (Monica Bellucci) et Elisabeth qui empêchent cette dernière de prendre parti contre la belle qui délaisse son mari.

La beauté d’Un été brûlant, c’est de parvenir à évoquer des sentiments universels en s’inscrivant dans une sorte d’intemporalité. Si Garrel raccroche son film à des évènements contemporains (une rafle de flics qui vaut une insulte à Sarkozy dans la bouche de l’un des personnages), il s’agit bien évidemment de faire revivre des figures aimées de la vie de Garrel : celle de Frédéric Pardo, de Tina Aumont (Monica Bellucci tient ici son plus beau rôle et le cinéaste la filme parfois comme une pure vision, une madone inatteignable notamment dans la fameuse scène de nu ou encore dans ce sublime passage où elle danse sur Truth Begins des Dirty Pretty Things au milieu de ses prétendants).

Mais il faut aussi parler de Maurice Garrel qui fait ici sa dernière apparition (au sens strict du terme) pour raconter à son (réel) petit-fils une histoire de guerre qui lui est véritablement arrivée. La vie et le cinéma se mêlent dans cette séquence bouleversante où les enjeux du cinéma de Garrel prennent tout leur sens : fixer à jamais l’image des êtres aimés pour les ramener une dernière fois à la vie…

 

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