Les funambules
Prince Avalanche (2012) de David Gordon Green avec Paul Rudd, Emile Hirsch
Prince Avalanche (sorti stupidement sous le titre Prince of Texas) est le premier film que je vois de David Gordon Green. Ce cinéaste a acquis une petite réputation dans la mesure où il fait partie de cette « nouvelle vague » de films venus du sud des États-Unis (ce que l'on nomme le « southern gothic ») avec ceux réalisés par des gens comme Jeff Nichols (Take shelter, Mud), Richard Linklater ou Benh Zeitlin (Les bêtes du Sud sauvage).
Son film le plus réputé reste L'autre rive mais il a également été l'un des poulains de l'écurie Judd Apatow (Délire express) et a réalisé quelques comédies qui ne resteront sans doute pas dans les annales.
Prince Avalanche se situe en 1988, après que de gros incendies eurent ravagé les forêts du Texas. Alvin et Lance se retrouvent seuls sur une route paumée au milieu de nulle part pour repeindre la signalisation au sol de ladite route. Le point de départ du récit est formidable : deux personnages qui ne sont pas des lumières (même si Alvin joue au « sage » en opposition à Lance le « jeune fou ») et qui se retrouvent, tels des antihéros de Beckett, à disserter en pleine campagne tout en accomplissant des tâches absurdes.
Débute alors un road-movie minimaliste où nos deux compères avancent au rythme de cette ligne jaune discontinue qu'ils tracent petit à petit sur cette route à l'abandon. On apprend peu à peu que Lance est le frère de la compagne d'Alvin et que c'est pour cette raison qu'il a été engagé pour ce boulot. Tandis qu'Alvin tente de mettre à profit son temps dans ce no man's land pour méditer, lire et apprendre l'allemand ; Lance ne rêve que de jeunes filles. L'opposition entre les deux personnages est classique mais elle fonctionne bien.
La « lenteur » de l'action, le côté presque magique de cette Amérique profonde, l'attention portée aux paysages rappellent Une histoire vraie de Lynch. Et Green joue d'ailleurs également sur le côté insolite des rencontres (rares) que feront Alvin et Lance. Il y a d'abord ce routier qui leur offre un coup à boire. Mais il y a surtout cette vieille femme qui fouille dans les cendres de sa maison ravagée par un incendie. C'est le plus beau personnage du film, à la fois totalement décalé et qui lui donne une coloration presque « surnaturelle ». La scène où elle est face à sa maison en cendres est vraiment poignante et met à nu ce que le film a de plus secret et de plus profond : le sentiment douloureux de la perte, la peur de la fuite du temps et l'obsession des « traces » que nous laisseront.
Suite à une cuite mémorable, les deux hommes dessineront avec leur peinture jaune la silhouette de Lance sur le bitume, comme si ce travail un peu absurde de signalisation (on ne voit pas une seule voiture!) n'avait, au fond, comme but que d'offrir à ces deux paumés la possibilité de laisser quelques « traces ».
Que reste-t-il d'une vie lorsqu'un incendie a tout ravagé, quand une histoire d'amour se meurt ? Telles semblent être les questions que se pose ce film à la fois inquiet et décalé.
L'intelligence de Green, c'est de parvenir à épouser constamment le point de vue des deux personnages et à jouer avec des ellipses dans la narration qui aiguisent l'intérêt du spectateur (le week-end foireux de Lance, la lettre « fatale » pour Alvin).
Pourtant, Prince Avalanche ne tient pas totalement toutes les promesses que laissait présager son idée de départ géniale. Difficile à expliquer cette légère frustration qui nous gagne au cours du récit. Essayons de nous en tirer par une métaphore facile : cette fameuse ligne jaune que suivent nos deux bonshommes en goguette. Lors d'une séquence très réussie, ils se réconcilient et décident de se cuiter. Du coup, le tracé sur le chemin devient totalement anarchique et c'est à ce moment qu'il réalise la silhouette qui ressemble aux dessins à la craie que l'on trouve sur une scène de crime.
Mais, à contrario, c'est peut-être ce qui manque un peu au récit le reste du temps : cette capacité à s'emballer et à ne pas se contenter de suivre consciencieusement cette ligne jaune trop droite (avec ce que cela suppose de conventions : les scènes de disputes entre deux hommes que tout oppose et qui finiront par se réconcilier et s'apprécier).
Si le ton reste décalé, entre humour minimaliste et émotion discrète ; le scénario reste un peu trop balisé pour vraiment prendre l'ampleur qu'on était en droit d'attendre.
Ces (petites) réserves n'empêchent pas Prince Avalanche d'être un très joli film, très bien interprété et qui sait parfois être plus secret et inquiet que son programme de « petit film indépendant décalé » parfois trop clairement affiché...